Depuis 14 ans, Tatiana négocie avec les forcenés, les preneurs d’otage ou les terroristes au sein du RAID, l’unité d’élite de la police nationale…

Elles sont deux. Deux sur 140 à faire partie des équipes opérationnelles du RAID, l’unité d’élite de la Police Nationale. Tatiana travaille depuis 14 ans dans la cellule de négociation.

Son rôle ?  Entrer en contact avec des forcenés,  des preneurs d’otage ou des terroristes pour les pousser à rendre les armes avant toute action armée. « Je vous préviens, je suis d’astreinte, je peux être appelée à tout moment », lance d’une voix claire la quadragénaire. Son portable lui a finalement donné un peu de répit.

Vous n’êtes que deux femmes « opérationnelles » sur 140 au RAID. Et aucune femme n’a jamais intégré les équipes d’intervention. Comment expliquez-vous cela ?

En théorie, les tests pour entrer au RAID sont ouverts à tous mais les qualités requises, notamment physiques, sont particulièrement élevés. Et les exercices sont les mêmes pour les hommes et les femmes. C’est normal, les gens en face de nous ne font pas la différence. Mais il y a également une part d’autocensure. Certaines femmes n’osent pas se présenter alors qu’elles en ont les capacités. Elles se disent que ce n’est pas fait pour elle.

Et vous, comment êtes-vous devenue négociatrice ?

J’avais entamé des études de droit pour être avocate mais en licence, je me suis rendue compte que ça ne me plaisait pas. Et puis, je suis tombée un peu par hasard sur un article sur la négociation de crise au sein du RAID. Ça a été une révélation. J’avais toujours voulu faire un métier utile et celui-ci réunissait tout ce qui me plaisait. On fait de la psychologie sans être psy, de la police sans la répression et du sport à haute dose. J’ai donc continué mon cursus dans l’analyse du comportement puis j’ai passé le concours d’officier. Je me suis présenté aux tests du RAID après trois ans et demi de service actif alors que, normalement, il en faut cinq. Au début, mes supérieurs m’ont clairement dit qu’il ne voulait pas de femmes. Je crois que la situation avait été particulièrement compliquée avec ma prédécesseur. Mais finalement, les tests de sélection se sont très bien passés et j’ai été rappelée au bout de six mois.

Vous êtes arrivée au RAID il y a tout juste 14 ans, comment s’est passée votre intégration ?

Au début, cela n’a pas été simple d’intégrer une unité purement masculine. Même si mon grade d’officier m’a un peu préservé, j’ai entendu des remarques machistes du style : « T’es pas la première gonzesse à venir nous casser les couilles » ou « C’est bon, on va pouvoir ouvrir une crèche ». Lors de ma première intervention, en 2005, j’avais une grosse pression, j’étais attendue au tournant. Et je suis arrivée sur le pire cas de figure possible : un homme qui venait de tuer sa femme et qui ne répondait pas au téléphone. Tout s’est fait au porte-voix. Le cauchemar. Mais il s’est rendu. C’est sur le terrain que tout se joue. Il faut gagner la confiance des autres et parfois en faire deux fois plus. Mais c’est vrai dans beaucoup de métier.

Aujourd’hui, quel lien avez-vous avec votre équipe ?

Une confiance absolue. C’est un travail de groupe, on sait que nos vies dépendent des uns et des autres. Quand je suis arrivée au RAID, pendant d’un entraînement, un de mes chefs m’a dit d’aller faire une « négo » sous la fenêtre. Pour moi, c’était impossible de reproduire cela dans une situation réelle, c’était beaucoup trop dangereux. Il m’a alors conduit auprès d’un des tireurs qui m’a montré qu’il avait la fenêtre dans son viseur. Il m’a dit : « S’il y a un doute, il n’y a pas de doute. » C’est quelque chose que je me répète souvent. Si je suis en danger, je peux compter sur le reste de l’équipe.

Au bout de 14 ans, avez-vous encore peur ?

Lorsque l’alarme ou mon téléphone sonne, il y a toujours un moment d’angoisse. Il retombe en arrivant à la caserne, lorsque j’apprends sur quelle mission je pars. Mais on ne pense pas à la peur ou à nos familles pendant une intervention. On est focalisé sur l’action, les questions, on se les pose après. Je crois qu’il n’y a qu’au Bataclan où une fraction de seconde, je me suis dit : « Et si ça pète ? ». Certains ont eu quelques instants de sidération devant des scènes particulièrement horribles. Mais c’est très bref. C’est la force d’une équipe, on est tous ensemble. Immédiatement, on se remet dans notre mission et on se concentre sur les otages. Ce n’est que quelques jours après qu’on réalise à quel point on a mis nos vies en danger. Et en ce sens, les débriefings sont primordiaux. Mais il ne faut pas se méprendre : au Raid, on n’est pas des têtes brûlées. Beaucoup sont pères ou mères de famille. On ne prend pas de risques inutiles.

Est-ce un avantage d’être une femme en négociation ?

Il ne faut pas rentrer dans les poncifs : les femmes n’ont pas plus d’empathie ou de douceur que les hommes. L’avantage d’intégrer des femmes négociatrices, c’est la diversité. En variant les profils, on a la possibilité de choisir la bonne personne au bon moment. Dans certains cas, comme dans des situations émotionnelles très fortes, placer une femme à la négociation peut créer un effet de surprise. Le rapport de force s’annule et la discussion est plus simple.

Au contraire, avez-vous déjà dû passer le relais à un collègue masculin parce que la situation ne s’y prêtait pas ?

Une fois, en prison. Un individu condamné pour viol ne voulait pas regagner sa cellule. Il était dans la cour d’une maison d’arrêt, donc avec uniquement des hommes. On a pensé que ce serait vécu par lui comme une provocation de se rendre à une femme.

Et concernant les djihadistes ? Refusent-ils de vous parler parce que vous êtes une femme ?

On s’est posé la question au début mais je suis intervenue à quatre reprises sur des individus radicalisés et cela n’a jamais posé de problème. Ce sont généralement des jeunes français et donc avec les mêmes codes que nous. Ils n’ont pas un profond ancrage religieux.

Considérez-vous que vous faites un métier d’homme ?

Je ne fais pas un métier d’homme, mais un métier dans lequel il y a beaucoup d’hommes. ! J’ai toujours assumé ma féminité mais c’est vrai que jusqu’à il y a trois ou quatre ans je ne portais jamais de robe ou de jupe au travail !”

Source : 20minutes- article écrit le 08 mars 2017 par Caroline Politi

Photos © Caroline Politi

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