Au cinquième jour d’audience du procès d’Abdelkader Merah, le frère du “tueur au scooter”, c’est au tour d’Amaury de Hautecloque, ancien patron du RAID, de témoigner. Il a relaté à la barre les 32 heures de siège de l’appartement où Mohammed Merah s’était retranché après ses crimes.

Haute stature, machoire carrée et cheveux grisonnants : Amaury de Hauteclocque, une figure de la police judiciaire passée par la brigade criminelle ou les stups, a dirigé le RAID, l’unité d’élite de la police nationale, de 2007 à 1013.
Ce 21 mars 2012, alors que ses hommes ont été dépêchés deux jours plus tôt à Toulouse après la tuerie de l’école juive Ozar Hatorah, il doit faire face à la plus longue négociation qu’il ait eut à affronter devant un tueur surarmé. Devant la cour d’assises qui examine depuis une semaine les complicités dont Mohammed Merah a pu bénéficier, le haut fonctionnaire a relaté avec minutie la traque puis les 32 heures de siège devant l’appartement où le suspect n°1 s’était retranché.
«Le 19 mars à midi, lorsque que les effectifs du RAID sont prépositionnés dans la région de Toulouse, aucun acte d’enquêtes n’a encore permis d’obtenir un élément d’identification du ou des auteurs, rappelle en préambule l’ancien patron de l’unité d’élite.
Jusqu’alors les axes d’enquête sur les mobiles possibles tournaient plutôt autour de la religion musulmane [commune aux trois premières victimes- Ndlr] plutôt qu’à leur statut de militaire. Mais dans la soirée, un enquêteur a une intuition géniale : dans les 500 connexions relevées sur l’annonce du Bon Coin [mise en ligne par Imad Ibn Ziaten, qui cherchait à vendre sa moto –Ndlr], il en isole 9 en ajoutant le mot-clé «militaire». Par le croisement des fichiers, ce policier fait alors le lien avec la mère de Mohammed et d’Abdelkader Merah.»

Celui qui s’est connecté sur Le Bon Coin depuis l’ordinateur de Zoulikha Aziri (la mère des Merah) a spécifiquement orienté sa recherche sur un «militaire», statut que Imad Ibn Ziaten avait précisé dans son annonce.
Dès lors, les frères Merah, aux nombreux antécédents judiciaires, sont dans le viseur de la police. «Une autre information capitale va nous parvenir le 21 mars vers 22 heures, poursuit Amaury de Hauteclocque. Le concessionnaire de Yamaha T-Max va reconnaître sur photographies deux personnes comme étant celles qui s’étaient notamment renseignées sur le moyen de neutraliser le tracker, système de géolocalisation sur ce modèle. »
A ce stade, les enquêteurs ignorent qui d’Abdelkader Merah ou de son frère Mohammed est susceptible d’être le pilote du scooter. Sur les images de vidéo-surveillance montrant les scènes de crime, les agents de la DCRI (Renseignement intérieur) penchent plutôt pour Mohammed Merah, à qui ils ont déjà eu affaire et dont ils connaissent «l’attitude et la dextérité» au guidon d’un scooter.
«Nous avons donc décidé de procéder durant la nuit aux interpellations de Mohammed et d’Abdelkader Merah», indique l’ex-patron du RAID.

Depuis le 19 mars au soir, la dernière adresse connue de Mohammed Merah avait été vérifiée par des fonctionnaires locaux de la DCRI qui y avaient détecté sa présence. Une surveillance volontairement légère, justifie le témoin : «vu la sensibilité de la cible, il n’était pas question de prendre le risque» d’une interpellation à l’extérieur du domicile.
Ce que les policiers du RAID ignorent, alors qu’ils s’apprêtent à donner l’assaut, c’est que Mohammed Merah a mis à profit ces dernières 48 heures pour préparer son film de revendication (à l’aide des images de sa caméra Go-Pro actionnée durant les attaques), sortir de chez lui pour transmettre sa clé USB à Al Jazeera (qui ne diffusera jamais ce film) et repérer une prochaine victime, un autre militaire. Il vient en réalité de réintégrer son appartement peu de temps avant que le dispositif policier ne se mette en place.
A trois heures du matin, Merah est prêt à passer à nouveau à l’action et rassemble son matériel et ses armes pour quitter les lieux.
«Il est évident que si nous avions eu cette information, j’aurai choisi un autre moment pour lancer l’intervention», reconnaît Amaury de Hauteclocque.
L’appartement de Merah est situé au rez de chaussée. Quelques marches conduisent à sa porte d’entrée.
 
« La consigne était de prendre Mohammed Merah vivant»
Le récit du grand flic se fait de plus en plus précis : «Nous progressons de manière silencieuse, dans le noir. Le verrin hydraulique est positionné sur la porte.
Au moment où nous l’actionnons, une main sort par l’entrebaillement. Un premier effectif essuie des tirs. Un repli tactique est opéré sur la volée de marches en contrebas pour empêcher toute sortie. La personne retranchée revendique immédiatement ses actes : «Vous avez vu ce j’ai fait, vous avez vu pour les militaires et l’école juive.» Plusieurs dizaines de tirs résonnent. Confinés dans le hall, les hommes en première ligne esssuient tous des éclats de chemise et de projectiles.
A 3h20, nous avons un premier blessé, qui ne peut être évacué. Puis un second, qui reçoit un tir sur son casque occasionnant un traumatisme cranien.
J’ai déjà deux blessés dans mes rangs. Un changement de rythme s’impose : nous passons d’une opération d’interpellation à une situation de forcené armé retranché.
Mais je n’oublie pas la consigne qui est de prendre Mohammed Merah vivant. Nous tirons largement au dessus de la cible, à tel point que nous perçons la colonne d’eau.»
Le détail à son importance : l’appartement va rapidement être envahi par 20 centimètres d’eau, ce qui a pour inconvénient d’atténuer les effets des gaz lacrymogènes lancés à l’intérieur.
Malgré les tirs, un semblant de dialogue s’installe à travers la porte. En échange d’un talkie-walkie, Merah accepte de se débarrasser d’un revolver 357 Magnum qu’il balance par la fenêtre.
«Va alors s’enclencher une négociation assez longue avec lui, détaille le chef des opérations. Il a envie de revendiquer et de justifier ses actes.
Confusément, je comprends qu’il est en train de faire son testament politique et religieux. Je demande donc à la SDAT (l’anti-terrorisme-Ndlr) d’enregistrer les échanges.
Il va nous raconter tout son parcours, ses voyages en Afghanistan et au Pakistan. Il essaie de faire des phrases construites mais mon obsession permanente, c’est moins ce qu’il nous raconte que d’essayer d’obtenir sa reddition.»
Pendant que Mohammed Merah s’épanche auprès du négociateur, l’immeuble est évacué depuis le deuxième étage par les pompiers. A 12h30, le bâtiment est enfin vide.
Il n’y a plus que les hommes du RAID et Mohammed Merah, face à face. Amaury de Hauteclocque conclut : «Sa reddition ne viendra finalement pas.
 
Nous nous étions arrêtés sur une possibilité de sortie à 23 heures mais à 23h45, il coupe la radio. Au moment de l’heure de vérité, il nous lance : «La mort, je ne la crains pas, je la souhaite.» Il dit avoir beaucoup étudié nos méthodes d’intervention et mis en place un dispositif à l’intérieur. Durant les heures qui suivent, nous envoyons des grenades éclairantes pour le fatiguer. Il y a encore deux coups de feu puis plus rien jusqu’à l’intervention. A 10h30 le lendemain matin, le «go» nous ait donné.
Un premier groupe reprend place devant la porte d’entrée, un second groupe est en position sur le balcon, sous la protection des snipers qui ont toujours pour première mission de nous renseigner sur ce qu’il se passe à l’intérieur. Caché dans la salle de bain, Mohammed Merah finit par sortir et prend à partie l’équipe à la porte puis s’avance vers le groupe au balcon, faisant un troisième blessé. Des tirs de semonce le font reculer vers la fenêtre du salon. Il tire alors de ce côté et un quatrième homme est touché. Voyant qu’il n’y avait pas d’autres solutions, les snipers font procéder à un tir létal. Il est 11h30. C’est Mohammed Merah qui est monté à l’assaut : il voulait mourir face à la police»”
 
 
 
Source : VSD – article écrit le 06 octobre 2017 par Nathalie Gillot

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