Alors que ses équipes sont encore intervenues, ce mardi matin, dans une opération antiterroriste à Lunel, le patron du Raid, Jean-Michel Fauvergue, revient sur la prise d’otage de l’Hyper Cacher de Vincennes. Entretien. 
 

Comment se portent vos blessés?

Nous déplorons quatre blessés au Raid, et la BRI en compte un autre. La plupart ont été touchés aux membres inférieurs, à la cuisse, au tibia ou au pied, à l’exception du policier qui est entré en premier dans le magasin. Lui a reçu une balle de kalachnikov dans le gilet pare-balle – le choc a provoqué la blessure – et deux autres projectiles dans le bouclier. Il va bien.

Qu’il ait été touché par les tirs de Coulibaly était prévisible. Nous travaillons depuis longtemps déjà des techniques d’intervention qui favorisent le fait d’attirer le tir de l’ennemi, ce qui l’oblige à se découvrir et permet de le neutraliser. C’est ce qui s’est produit.
 

Ce qui veut dire que les premiers hommes du Raid entrant dans l’Hyper Cacher étaient là pour servir de cibles?

Les deux premiers groupes de deux policiers appliquaient une technique “sacrificielle”, que nous répétons à l’entraînement. Les policiers ne se contentent pas de tirer à distance en restant à l’abri, ils vont au contact en s’offrant aux coups de feu. En se dispersant, ils multiplient les cibles potentielles pour le forcené ou le preneur d’otage, ce qui ralentit son action.

Je salue le courage de mes hommes qui utilisent cette tactique, car ils savent qu’ils s’exposent au plus haut niveau de danger. Ce qui demande une très grande préparation, aussi bien physique que mentale.

Avez-vous d’autres motifs de satisfaction?

Nous sommes également satisfaits de la manière dont le PC opérationnel a été mis en place. Le commandant qui le dirigeait a pu rapidement accumuler des informations sur les lieux de la prise d’otage grâce aux différents services de police mobilisés, PJ, Sécurité publique. Du coup, nous connaissions la topographie, l’ameublement intérieur ou encore la composition des murs. Nous avons su rapidement que derrière les grandes vitres de la façade se trouvaient de hauts frigos, ce qui empêchait l’entrée par cet accès.
Un jeune homme qui travaillait dans le commerce et un ouvrier qui venait d’y réaliser des travaux et qui s’est présenté aux services de sécurité nous avaient décrit les lieux avec précision. L’employé retranché dans la chambre froide  avec quelques otages nous a donné des détails supplémentaires. Par ailleurs, nous avons récupéré les images des caméras de surveillance vidéo. Elles montraient la présence de deux corps visibles (deux autres étaient cachés des caméras) et l’on pouvait voir Coulibaly, portant un gilet de combat et armé de deux kalachnikovs. Nous savions aussi qu’il déplaçait les otages. Enfin, nous avions récupéré les clefs qui commandent le volet métallique de l’entrée principale.

Que décidez-vous alors?
Grâce à ces renseignements, mon commandant opérationnel me propose des scénarios d’intervention. Nous savons que nous avons affaire à un individu fortement radicalisé et nous savons aussi que nous devrons entrer de vive force. Des techniques que nous travaillons en particulier depuis l’affaire Merah. J’ajoute que nos négociateurs, qui ont eu Coulibaly au téléphone, ont constaté que rien ne pouvait aboutir de ce côté. Il exigeait, par exemple, le passage de bandeaux vantant le djihad sur les chaînes du câble. Ces revendications ne pouvaient être prises en compte.

Vous êtes alors en contact avec le GIGN,  le groupement d’intervention de la gendarmerie, qui fait le siège de l’imprimerie où sont retranchés les frères Kouachi…

J’ai à mes côtés deux officiers du GIGN, tandis que deux officiers du Raid sont avec les gendarmes. Nous sommes en communication permanente et alors que nous avions prévu d’intervenir prioritairement à Vincennes, où étaient retenus des otages, ce sont les frères Kouachi qui ont pécipité l’action du GIGN. Mais notre plan était prévu. Il a été respecté.

Quel était-il?

Les hommes de la BRI devaient occuper le côté de l’Hyper tandis que le groupe “effraction” du Raid préparait l’entrée. Ce n’était pas simple, car il fallait faire tomber les portes vers l’extérieur.
Nous savions que Coulibaly avait entassé des palettes de bois et des sacs de farine dans l’accès. Après avoir ouvert le rideau de fer, nous avons lancé des grenades à effet de souffle, puis les policiers sont entrés en binômes, en cherchant à attirer le feu du preneur d’otage afin de le localiser. C’est ce qui s’est produit.
Coulibaly a été touché à plusieurs reprises et s’est effondré aux pieds des policiers. Ils ont tiré son corps sur le côté pour faire sortir les otages, et inspecté le sous-sol, où des explosifs avaient été installés, mais dont le système de mise à feu n’était pas connecté. Les otages ont pu, pendant ce temps, être mis à l’abri, par les hommes de la BRI et de la PJ.

A quoi avez-vous pensé pendant l’opération?

Je savais que nous étions prêts. Le plan était établi et j’avais confiance. Le seul problème qui me tracassait, c’était ces fameuses portes qui devaient s’ouvrir du bon côté. Mais les spécialistes du “groupe effraction” ont fait un travail d’orfèvre en plaçant les charges explosives au bon endroit. Et tout c’est bien passé.

Et après?

J’ai ressenti, évidemment, de la fierté pour  la libération de 19 otages par les colonnes d’assaut du RAID. Une opération unique. J’ai été particulièrement heureux d’avoir ramené tout le monde à la maison. Je dois dire que nous avons par ailleurs été touchés par de nombreux messages de sympathie qui m’ont été envoyés. Et en particulier par ceux adressés par des collègues policiers ou des gendarmes.

Jamais les unités d’élite de la police et de la gendarmerie n’avaient eu à gérer deux prises d’otage en simultanée…

C’est effectivement une première. Et la collaboration nécessaire pour faire face à ce danger terroriste inédit s’est déroulée dans les meilleures conditions possibles.
Nous savions tous que les nouvelles menaces ne tiendraient pas compte des zones de compétences des uns et des autres. Depuis plus d’un an, nous organisons des groupes de travail communs.
Essentiellement en termes d’inter-opérabilité des moyens.
Nous avons, par exemple, mis en place le “baptême terrain”, de façon à appeler les choses par le même nom. Ce n’est rien en apparence, mais c’est essentiel quand il faut fonctionner ensemble.

Faut-il recruter plus de policiers d’élite comme va le faire le renseignement pour faire face à une montée du terrorisme?

Alors que nous étions engagés à Vincennes, une autre prise d’otage était en cours à Montpellier et nous avions sur place une équipe du GIPN de Marseille, qui dépend de mon commandement. C’est la preuve que nous avions encore de la réserve.
Plus que sur celle du nombre, il faut nous pencher sur la question de la spécialisation. Nos hommes ont multiplié par quatre leurs interventions contre des individus dangereux. Souvent à la demande de la Police judiciaire et de la Sécurité publique pour lesquelles nous agissons en assistance. Cela montre que la connaissance de techniques particulières est d’autant plus nécessaire que nous faisons face à des personnes potentiellement lourdement armées et déterminées.
De nos jours, des unités de police qui ne se consacrent pas uniquement à ce genre d’intervention sont en difficulté pour les assumer avec le maximum de garanties de succès. Aucun service de police ne peut se consacrer à plusieurs missions à la fois. ”
 
Source : L’Express – article écrit par Laurent Chabrun le 27 janvier 2015

Author

admin@fipn-sdlp.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Content is protected !!