Il est « L’homme au bouclier », le tout premier à s’être lancé à l’assaut de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes (Paris XXe). Le vendredi 9 janvier, Antoine* et ses quelque 70 collègues du Raid, l’unité d’élite de la police, épaulés par la brigade de recherche et d’intervention (BRI) et la brigade d’intervention (BI), ont mis un terme à la sanglante prise d’otages au cours de laquelle quatre personnes ont succombé aux balles d’Amedy Coulibaly.

Cet homme discret d’une trentaine d’années, sportif de haut niveau, qui avait déjà participé au siège du domicile de Mohamed Merah au printemps  2012, revient pour la première fois sur cette intervention. Pendant plus de trente secondes, il s’est retrouvé seul face à Coulibaly avant que le terroriste ne tombe sous les rafales des forces de l’ordre.
 
Quand le Raid a-t-il été mobilisé ?
ANTOINE*. Nous étions en alerte depuis l’attentat de « Charlie Hebdo », le mercredi. Nous avons participé à la traque des frères Kouachi. En vain. En apprenant le vendredi matin qu’ils avaient été localisés à Dammartin-en-Goële (NDLR : en Seine-et-Marne), non loin de là où nous avions stoppé nos recherches, nous avons ressenti une certaine frustration. Et en même temps, un relatif soulagement, car nous savions qu’ils seraient neutralisés d’une manière ou d’une autre. C’est alors qu’on a été informés de la prise d’otages de la porte de Vincennes.
Où étiez-vous ?
Nous déjeunions avec quelques collègues, lorsque nos bipeurs ont sonné à l’unisson. Nous sommes vite repartis au Raid. Dans ces cas-là, on a juste quelques minutes pour rassembler nos armes et notre équipement personnels. On a filé en convoi jusqu’à la porte de Vincennes. Là, arrêtés sur le périphérique, on a attendu les instructions pendant près de trois heures en discutant de tout et de rien.
Quand est tombé l’ordre d’intervenir ?
Vers 17 heures. Nos chefs nous ont rapidement briefés sur la disposition des lieux. On savait qu’il y avait au moins trois morts, que Coulibaly était lourdement armé, qu’il avait probablement un complice et qu’il restait une vingtaine d’otages (26 en réalité). Chacun d’entre nous, Raid, BRI, BI, s’est vu confier un rôle précis. C’est à ce moment-là que mon chef de groupe m’a dit que j’allais prendre la tête de la première colonne d’assaut à l’entrée principale du magasin.
Aviez-vous déjà tenu ce rôle ?
Oui, à plusieurs reprises, mais dans des conditions différentes, notamment lors d’interventions au petit matin dans des affaires de grand banditisme. Cela dit, ce poste n’a rien de spécifique. C’est une action de groupe, nous intervenons ensemble, soudés et déterminés. Ce sont les chefs de groupes qui décident du rôle de chacun : ils nous côtoient au quotidien, connaissent notre état de forme physique et psychologique et savent désigner au moment T celui qu’ils jugent le plus à même d’assurer tel ou tel rôle.
Quelles étaient vos instructions ?
Tout d’abord protéger avec mon bouclier le collègue chargé d’ouvrir le rideau métallique de l’entrée. A mesure qu’il se lève, je sais que le risque de tirs grandit. Notre priorité, c’est surtout de préserver la vie des otages, d’autant que nous ne savons pas où ils se trouvent. Dans ce genre d’interventions, je n’ai pas de schéma préétabli, car c’est le meilleur moyen pour que ça dégénère. Le plus grand danger est de se retrouver face à une situation à laquelle on ne s’attendait pas. Le temps de réaction peut alors être fatal. En fait, l’idée est simple : une fois le rideau levé, il faut analyser le maximum d’éléments en un minimum de temps, puis s’adapter, sachant que la vie des otages prime sur tout le reste. C’est pour cette raison que la colonne d’assaut casse, et que l’on ne rentre pas tous ensemble au même moment.
Ressentez-vous de la peur ?
Au risque de surprendre, non (sourire). Je n’arrive toujours pas à me l’expliquer, mais dans l’ensemble, je suis plutôt serein. Comme mes collègues, je suis dans ma bulle, à l’affût de ce qui va se présenter.
Que se passe-t-il quand le rideau se lève ?
Tout de suite, j’aperçois le corps d’un otage au sol. Puis, à une dizaine de mètres devant moi, de l’autre côté des caisses, le forcené surgit les armes à la main. Tout va très vite. Je rentre dans le magasin, j’aperçois les otages sur ma gauche. Il tire ses premières balles qui viennent se loger dans mon bouclier. Je continue à avancer en ripostant, puis je me décale dans l’allée vers la droite, à l’opposé des otages afin qu’ils ne soient pas pris pour cible. Il avance alors vers moi en continuant à tirer et je reçois une balle (freinée par le gilet pare-balles, elle l’a malgré tout blessé, provoquant d’importantes brûlures). La fusillade s’intensifie, puis mes collègues postés derrière ouvrent le feu à leur tour. Lui avance toujours vers l’entrée avant d’être happé par leurs balles.
La pression peut alors retomber ?
Cela prend un certain temps, car on est restés un long moment à explorer tous les recoins du magasin. Ensuite, on est tous rentrés au Raid pour un rapide débriefing. C’est surtout un moment de décompression, où l’on se parle beaucoup. On échange nos impressions, nos émotions. Puis, on est allés faire un bon dîner avec des collègues, car on avait besoin de nous retrouver entre nous. Comme eux, j’ai mis un certain temps à trouver le sommeil. On se refait le film des événements, en essayant de voir ce qu’on aurait pu faire mieux. Et puis je pense à ma famille et à mes proches, à qui je cause de fortes inquiétudes (rires). Sans eux, je n’en serais pas là.
Vous les aviez prévenus ?
Ils se doutaient que j’y étais…
Comment réagissez-vous lorsque l’on vous qualifie de héros ?
Je ne suis pas un héros. Comme mes collègues, j’ai juste fait mon travail, rien de plus. Et c’est le travail de tout un groupe, pas d’un seul policier avec son bouclier. Nous nous entraînons toute l’année pour faire face à des situations difficiles. Je suis ravi que l’intervention se soit déroulée ainsi et que, surtout, les otages soient sains et saufs. Au final, il n’y a que ça qui compte.
Pourquoi avez-vous intégré le Raid ?
C’est un rêve de gosse. La vocation m’est venue il y a vingt ans quand le GIGN s’est lancé à l’assaut d’un avion d’Air France aux mains de terroristes à l’aéroport de Marignane (Bouches-du-Rhône). J’étais devant la télé, et je me suis tourné vers ma mère en lui disant : « Voilà ce que je veux faire. » L’idée a fait son chemin. J’ai intégré l’école de police, puis un poste de CRS en région parisienne, avant d’être admis à rejoindre le Raid il y a six ans. C’est un métier magnifique.
* Le prénom a été modifié.”
 
Source : Le Parisien – article écrit le 02 avril 2015 par Adrien Cadorel
 

Author

admin@fipn-sdlp.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Content is protected !!