RAIDS : Dans quelle situation était le RAID le 7 janvier ?
Jean-Michel Fauvergue : Le RAID était en posture normale au moment où est intervenue l’attaque de Charlie Hebdo. La première alerte a sonné lors de l’entraînement. En apprenant cette attaque, on comprend que c’est du lourd et on se met en alerte immédiatement.
Le DGPN (Directeur Général de la Police Nationale) m’informe alors qu’il nous faut faire mouvement vers Reims, où nous serons placés en assistance de la SDAT (Sous-Direction Anti-Terroriste).

Depuis plusieurs mois, on travaillait avec la SDAT et la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure), nous les connaissions donc très bien. Sur place, je me mets à disposition de mes collègues de la SDAT et j’apprends que nous devions intervenir sur trois points différents dans l’agglomération. J’ai à mes côtés deux colonnes du RAID et une autre du GIPN (Groupe d’Intervention de la Police Nationale) de Strasbourg. La SDAT nous confie aussi deux points supplémentaires à Charleville-Mézières, dont se charge le GIPN de Lille que l’on fait déplacer aussi. Une équipe de commandement du RAID sous l’autorité de mon adjoint est envoyée sur place.

RAIDS : C’est une première d’associer les GIPN et le RAID dans une opération multipoint de ce type ?
J-M F : Non, pas depuis que j’ai le contrôle opérationnel des GIPN (novembre 2013). On a déjà eu des opérations où le RAID renforçait les GIPN et vice versa.
Les personnels sont sélectionnés et entraînés ensemble pendant 16 semaines, ils sont donc réellement interopérables. On a commencé ce soir-là à travailler sous l’œil des médias, et c’est très compliqué. Les adresses étaient manifestement connues à l’avance. On sait que l’on trouvera très probablement des adresses sans les personnes qui y résident, ou qu’au contraire les personnes y seront, retranchées et prêtes à mourir. C’est quelque chose de très particulier et, pour tout dire, de nauséabond. On n’a pas eu d’esprit de responsabilité des médias. On est intervenus sur tous les points, et les opérations se sont poursuivies jusqu’au petit jour. Je laisse sur place deux colonnes du GIPN de Strasbourg et du RAID. Je laisse aussi mon adjoint sur Reims.
 
Ce jeudi-là, je suis appelé à la salle de gestion de crise du ministère, appelée le « fumoir «. Les deux DG police et gendarmerie) s’y trouvent déjà et j’apprends que les frères Kouachi ont été repérés vers Villers-Cotterêts, dans l’Aisne. En fait, il y a une grande zone triangulaire de recherches.
On m’informe aussi que je serai « concourant » du GIGN. Trois espaces de recherches sont définis, le mien touche celui du GIGN. Je prends mes instructions d’Hubert Bonneau, chef du GIGN, nous trouvant sur leur zone de compétence territoriale. Le terrain est ratissé. On inspecte quelques maisons suspectes. J’ai à mes côtés la colonne du RAID qui était à Reims, celle du GIPN de Lille que je fais descendre, et j’en fais monter une de la BRI-PP (Brigade de Recherche et d’Intervention de la Préfecture de Police).
 
La FIPN (Force d’Intervention de la Police Nationale) est déployée sous mon autorité.
Ce secteur est plutôt forestier, campagnard, avec quelques maisons isolées.
Le dispositif est levé en raison de la tombée de la nuit, une nuit très noire d’ailleurs. Je laisse une colonne du RAID à Soissons et je repars sur Paris.
Le GIPN de Lille et la BRI-PP rentrent chez eux.
Le lendemain, le vendredi, je me rends au salon « fumoir », place Beauvau, où on apprend que les deux frères Kouachi ont fait un car-jacking et qu’ils sont poursuivis par des hélicoptères de la gendarmerie, en direction de Paris.
Le DGPN me donne pour instruction de poursuivre l’opération comme « concourant » du GIGN, et je fais descendre ma colonne du RAID de Soissons, tandis que j’en fais monter une de la BRI-PP.
Elles arrivent à peu près en même temps à Dammartin.
A ce moment, deux de mes snipers vont opérer en observant à partir d’un hélicoptère EC145 de la gendarmerie. Une colonne du RAID part de Bièvres, avec 30 à 35 pax.

 

RAIDS : On a donc une centaine de policiers spécialisés en intervention sous l’égide de la FIPN, en « concourant » au GIGN, à Dammartin ?
J-M F : Oui, mais la colonne de la BRI-PP rentre sur Paris, car elle a des vérifications à faire dans le cadre de l’affaire Coulibaly. Vers 13 heures, des coups de feu sont signalés à la porte de Vincennes, il y a sans doute des morts et plusieurs otages. On apprend assez vite que cette attaque a un lien avec les frères Kouachi. Je laisse deux négociateurs sur place avec deux officiers de liaison, du RAID, et je prends la route vers Paris, ce qui n’est pas simple, car les routes sont assez encombrées. Je suis accompagné des deux groupes du RAID qui étaient restés sur place.
Je demande aussi à un groupe de partir de Bièvres et de se palcer en réserve porte des Lilas.

En parallèle, mon DGPN m’annonce que la FIPN est à nouveau engagée et que je prends en compte l’ensemble des forces. Quand j’arrive sur place, le préfet et le directeur de la PJ (Police Judiciaire), Bernard Petit, sont déjà sur place.
La BRI a placé les équipes d’urgence à proximité. Ses tireurs sont en place sur les points hauts. Je prends en compte ce dispositif, et je le double, que ce soit les snipers ou les colonnes d’intervention.
Tout de suite, on évacue un traiteur contigu à l’Hyper Cacher, où les occupants s’étaient calfeutrés. Et on réitère avec un autre commerce à proximité. A ce moment-là, on est une centaine entre la BRI et le RAID.

Tous les GIPN sont aussi mis en alerte sur le territoire national. A ce moment-là, l’antenne RAID de Marseille est d’ailleurs engagée sur une prise d’otages crapuleuse à Montpellier, qui sera résolue par la négociation.
Cela démontre aussi le bien-fondé de notre schéma d’implantation nationale, et du concept de la FIPN.

On monte le PC opérationnel. On récupère plusieurs personnes connaissant bien l’Hyper Cacher, ceux qui y travaillent, mais aussi un concierge et un ouvrier qui avait réalisé des travaux dans le magasin. Lui, il sait nous dire quels sont les murs en placo, quels sont les murs porteurs. L’officier renseignement se charge de collecter l’information sous la coordination du commandement opérationnel, qui répartit les tâches aux uns et aux autres. Il se fait aider par des officiers de la BRI.
Le propriétaire nous permet aussi de voir la vidéosurveillance du magasin, qu’il peut consulter sur son ordinateur portable, avant qu’elle ne fonctionne plus. On y voit Coulibaly, comment il est équipé, et les morts.

A ce moment-là, trois PC coexistent : le PC opérationnel du RAID, le PC négociation armé par la BRI renforcée par deux négociateurs du RAID et, enfin, le PC autorité.
Le lien entre le PCA et le PC OPS se fait par moi-même.
Le ministre arrive, avec la maire de Paris, le directeur PJ…. On lui confirme que l’on est face à Coulibaly, qui a tué la policière municipale et a tiré sur un jogger, et que nous avons vu deux personnes mortes sur la vidéosurveillance de l’Hyper Cacher.

On a aussi contact avec des personnes réfugiées dans le local réfrigéré du magasin, au sous-sol, où le téléphone fonctionne. Mais ils ne peuvent pas nous apporter de renseignements utilisables pour l’intervention. On ne sait d’ailleurs toujours pas à ce moment-là combien de preneurs d’otages sont présents.
On croira jusqu’au bout qu’ils pouvaient être deux.
 

Puis Coulibaly a un contact avec BFM TV, mais cela ne nous apporte pas de renseignements utiles pour l’intervention.
Mon travail consiste alors à rendre étanche le PC opérationnel, qui doit se concentrer sur les vraies informations opérationnelles.
Sur les deux seuls contacts qu’on aura par nos négociateurs avec Coulibaly, il expliquera qu’il ne veut pas que l’on touche aux frères Kouachi, et déroulera une logorrhée terroriste, livrera des justificatifs à son action, et demandera à ce que les troupes françaises au Mali se retirent. On se rend compte qu’on est face à une situation inextricable. Nous savons que ce type d’individu ne se rend pas et meurt les armes à la main. On pensait qu’on avait 10 à 20 otages (en fait, ils sont 19). On savait que les otages étaient libres et bougeaient, tout comme Coulibaly.

RAIDS : Cela ne vous simplifie pas l’intervention…
J-M F : Evidemment non, mais c’est un grand classique. Entre-temps, nous avons étudié les moyens d’action, avons récupérés les clés du volet roulant et le commandant opérationnel a dressé un plan d’action. Nous attendons alors le feu vert de l’autorité politique, à laquelle nous avons proposé des options, ou plutôt l’option, car il n’y en a qu’une. Ce feu vert arrive très rapidement.
Priorité est donnée à notre opération au regard du nombre élevé d’otages, et non à celle de Dammartin.
La suite, on la connaît : à 16h55, les frères Kouachi sortent de l’imprimerie de Dammartin, font feu sur les gendarmes qui ripostent. J’ai deux officiers du GIGN avec moi, ils m’informent rapidement de l’évolution de la situation là-bas, ce qui précipite notre assaut.
Nous étions quasiment prêts, mais on n’aurait pas refusé 10 minutes de plus.
Une colonne de la BRI est placée sur la porte arrière, et deux colonnes du RAID de part et d’autre du rideau de fer, sur l’entrée principale.
Le fait de mettre beaucoup d’intervenants permet de protéger rapidement les otages, et surtout de multiplier les cibles pour le ou les preneurs d’otages et d’attirer le feu.
 

C’est vrai, il y a un risque de tirs fratricides sur nos propres hommes. Mais c’est un risque calculé.
La porte arrière est ouverte par un élément d’effraction explosif du RAID. C’est une explosion assez impressionnante, et cela déclenche le début de l’intervention. Coulibaly commence à tirer sur la BRI, à travers des palettes et sacs de sucre qu’il a placés en travers de cette issue. Le RAID arrive par la porte principale et il reporte son feu sur mes hommes.

Il est neutralisé à ce moment-là. On progresse dans le magasin, on trouve les otages indemnes, et les quatre qui avaient été tués par Coulibaly au début de sa prise d’otages. Tous les otages sont dirigés vers un dispositif de recueil de la BRI de la DCPJ.
On les place derrière le blindé de la BRI positionné devant le magasin.
En explorant le magasin, on trouve vite des charges d’explosifs, des bâtons de dynamite, avec lesquelles Coulibaly avait piégé le magasin.
Je rends compte immédiatement par téléphone au DGPN, qui rend compte au ministre, qui lui-même informe le président de la république du succès de l’opération.

On a cinq blessés, quatre du RAID et un de la BRI. Ils sortiront de l’hôpital le lendemain, pour la plupart. Ils ont été blessés aux membres inférieurs, la partie du corps qui n’est pas protégée, ou ont été poly criblés.


 

RAIDS : Si on balaie les retex de cette crise, avez-vous eu suffisamment accès aux hélicoptères ?
J-M F : Aux hélicoptères du GIH, non, car ils étaient dédiés à juste titre au GIGN, mais nous avons placé un binôme de tireurs d’élite à bord d’un EC145 de la gendarmerie, à Dammartin-en-Goële.
Les deux types d’hélicoptères sont importants pour nous, le Puma du GIH permet de transporter une dizaine d’opérateurs en une seule fois, ce qui n’est pas possible avec les hélicoptères de la gendarmerie. Ces derniers sont plus utiles pour le transport rapide d’une équipe réduite, négociateurs ou tireurs d’élite, par exemple.

 
 
RAIDS : Quelles sont les leçons, pour la partie commandement ?
J-M F : Pour le commandement, on a travaillé très correctement. On n’a pas eu de pressions. Le RAID a eu la confiance du ministre de l’Intérieur, qui avait pu nous découvrir lors d’une visite au service, au printemps 2014.
Le ministre a senti que l’affaire était dure et que Coulibaly irait jusqu’au bout. Notre intervention serait donc le seul moyen de résoudre cette crise. Cela permet d’absorber le choc politique pour protéger mes opérateurs. Les deux postes les plus importants, outre évidemment, les opérateurs eux-mêmes ce sont le chef du RAID et le commandant opérationnel. Le premier protège le second.
RAIDS : Pour la FIPN, vous avez mobilisé tous les composantes. Avez-vous des choses à améliorer ?
J-M F : Oui, sur l’engagement de la FIPN avec la BAC, et la façon de mieux l’intégrer dans l’Etat-Major opérationnel.
 
 
RAIDS : Votre équipement est-il suffisamment bien taillé ?
J-M F : Cet équipement est, globalement satisfaisant. On parlait plus haut de protection des membres inférieurs, il faudrait qu’on s’y intéresse, évidemment.
De même, nos G36 doivent pouvoir être complétés, dans la colonne, par une arme plus lourde, fusil à pompe, Molot, HK 417…
 

RAIDS : Donc, ce n’est pas un manque d’équipement mais plutôt une utilisation différente de ce dont vous disposez…
J-M F : Oui, pour la partie armement. Pour la protection des membres, on sait qu’en protégeant mieux, on alourdira nos opérateurs. Or, si la rapidité de mise en œuvre est essentielle, comme ce fut le cas à Vincennes, qui s’est déroulée sur moins de quatre heures, on sait qu’on n’aura pas avec nous un bouclier Ramsès par exemple… Et la vie des otages était en jeu : il faut donc travailler de façon sacrificielle.

 

RAIDS : Quel bilan faites-vous de cette opération menée avec le GIGN ?
J-M F : C’est une première déjà ! On n’a eu aucun problème, et cela s’est avéré très intéressant.
On a travaillé en confiance, et la présence des officiers de liaison a permis de bien diffuser l’information. Franchement, je n’ai eu aucun problème à travailler en « concourant » pour Hubert Bonneau. Le relationnel avec lui est un véritable plaisir.

 
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RAIDS : Avez-vous des priorités d’équipement en 2015 ?
J-M F : Donc, ce sujet de la protection balistique des membres inférieurs. On a aussi reçu un premier PVP, et un deuxième sera livré d’ici six à sept mois, je pense.
Nous n’avions pas besoin d’un véhicule avec structures verticales comme le GIGN, nous en avons déjà un, d’ailleurs. Par contre, ce PVP nous permet des progressions de nos opérateurs protégés par le blindage.

Source : RAIDS n° 348 (avril 2015)  – article écrit par Jean-Marc Tanguy

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