« Je suis payé pour protéger, pas pour du service à la personne » Un policier du Service de la protection (SDLP)

Mâchoire serrée  Eric* maltraite sa cigarette qu’il consume en quelques bouffées. « C’est vrai que l’année a été difficile », lâche ce quadragénaire. « Des tensions dans le service, une ambiance pesante, et deux suicides qui nous ont tous endeuillés. » Voilà « un certain nombre d’années » que ce fonctionnaire oeuvre au sein du Service de la protection (SDLP).

« J’y suis venu par envie, et par curiosité. Le prestige du service, l’idée de faire de la police différemment dans un rapport privilégié avec une personne, m’a intéressé. J’avais l’âge, suffisamment d’ancienneté pour y prétendre et un statut familial qui me permettait de m’investir  à hauteur de ce qu’on attend de nous ici. »
Aujourd’hui, Eric assure en rotation avec plusieurs collègues la protection d’un poids lourd du gouvernement. « Je ne peux pas trop en dire », sourit-il, de peur d’être identifié. « Si ce n’est que cela se passe très bien, qu’il n’a jamais un mot plus haut que l’autre, et qu’il nous fait confiance pour gérer les déplacements. » Son travail s’organise autour de deux maîtres mots : attention et concentration. « Certes, les journées sont parfois longues, et les repos de plus en plus rares. Il faut être vigilant, disponible et compréhensif sans jamais oublier que la sécurité de l’escorte prime sur tout. Mais je n’ai jamais eu le sentiment d’être instrumentalisé. Certains collègues, par contre… »
C’est le cas de Frédéric*, un fonctionnaire reconnu unanimement pour son professionnalisme et qui affiche plus de quinze ans d’ancienneté. Après des semaines de discussions, celui-ci accepte de lever une partie du voile sur son quotidien de « garde du corps » d’une personnalité issue de la société civile. « On a tous nos humeurs, mais j’ai le sentiment que plus on est connu, plus on en a. » Après deux premiers mois difficiles, il a dû « fixer des règles ». « On m’a tendu un matin une liste de courses et la carte de fidélité d’une grande surface, sans même me regarder. J’ai dit que j’étais payé pour protéger, pas pour faire du service à la personne. Et quand je vois cette personne à la télé étaler des sourires, je me dis : si les gens savaient… »
L’anecdote rejoint celle concernant l’ancien conseiller de François Hollande, Faouzi Lamdaoui, qui avait réprimandé fin juillet 2013 l’un de ses officiers qui ne lui avait pas acheté son pain au chocolat matinal. « J’ai connu des collègues à qui on demandait de passer au pressing, de sortir le chien, ou de jouer les baby-sitters pour les enfants. » Selon lui, ces faits, « qui ont vite fait de faire le tour du service », traduisent d’une certaine « transformation » du métier avec l’arrivée de « people ». « On se pose parfois la question du bien-fondé d’une protection. On aimerait que notre chef s’y oppose. Mais il a des ordres à respecter, lui aussi. C’est plus haut que cela se décide. » Un haut gradé militaire confirme : « Bien sûr, il existe des personnes menacées, mais est-ce que le service doit assurer la protection des deux soeurs et du frère du roi du Maroc, d’une ex-impératrice d’Iran, d’un philosophe menacé il y a des années pour une tribune, ou d’un avocat ? Je m’interroge, et je ne suis pas le seul. »
Un membre de la Cour des comptes précise : « On peut pousser le raisonnement plus loin. Est-ce normal que François Baroin, ministre de l’Intérieur à peine plus d’un mois, ait la même dotation en effectifs que Jacques Chirac ? Quant à Pierre Joxe, Christian Poncelet et Jean-Pierre Chevènement, ont-ils besoin de deux policiers chacun ? Quel est l’état de la menace ? Si ce n’est sur les finances ? »
Suivant la volonté insufflée par Manuel Valls lors de son passage Place Beauvau, l’actuel ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve souhaiterait « rationaliser » certaines dotations de protection. « C’est un long travail à mener, estime Eric. L’angoisse est de se dire : que faire s’il arrive un pépin à une personnalité à qui l’on vient d’ôter une protection ? Mais la peur ne permet pas d’avancer, pas plus que les abus, d’ailleurs. »

*Les prénoms ont été changés.

Source : Le Parisien – article écrit le 04 janvier 2015 par Adrien Cadorel

 

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