“Les négociateurs sont à peine une cinquantaine dans la Police Nationale, si l’on compte le groupe du RAID, soit 18 personnels, et les 30 négociateurs régionaux des GIPN.

Eclairage sur une filière qui, à défaut de pouvoir toujours les ramener à la raison, doit composer avec les forcenés du quotidien, les kidnappeurs et , désormais, les terroristes.

« C’est bon, vous pouvez venir, je vous ouvre… » Banlieue est de Paris, 2005.
Après plusieurs heures de négociation, l’ex-gendarme revient à la raison, après un long travail de la négociatrice du RAID, T. est allée jusqu’à devant la porte, seulement séparée par quelques centimètres de bois.
Derrière elle, une « chenille » du RAID, prête à la protéger, et à faire le « saute-dessus », ce qui s’est donc avéré inutile.
80% des affaires de forcenés se terminent ainsi, grâce à la négociation, et sans l’usage de la force.
Parmi les centaines d’affaires traitées par le RAID, il y a eu des négociations emblématiques, comme celle qui permit de gagner des heures précieuses pendant la prise d’otages de la maternelle de Neuilly, en 1993.
Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget et maire de Neuilly, participa à la négociation, en établissant une relation directe avec le preneur d’otages, HB (pour Human Bomb).

En ce sens, la participation d’un tiers non spécialiste, l’intensité de cette épreuve, et le nombre d’otages font de Neuilly un cas rarissime. Cette prise d’otages a aussi mis en lumière pour la première fois en France un négociateur, celui du service, Michel Marie.
Christophe Caupenne, le négociateur en chef actuel du RAID, a rejoint le service en 1999. Il a vu passer plus de 200 affaires. Toutes ont été dépiautées, analysées et ont fait l’objet d’un retour d’expérience.
C’est ce qui permet à ce commandant de police d’être aujourd’hui une des mémoires du domaine, qui échange avec ses homologues du monde entier, en Amérique du Nord, là où la négociation est née, mais aussi aux quatre coins du monde.

La qualité de la négociation à la française est devenue un vrai label, très couru, que les polices du monde entier s’arrachent. D’où les fréquents séjours à l’étranger, ou les séances de formation internationale que le « groupe négo » tient à Bièvres, à la base du RAID.
Dix groupes étrangers (Kirghizistan, Philippines…) sont formés chaque année par le RAID.
Cela facilite évidemment les rapports dès qu’il s’agit d’intervenir dans le pays dont on a formé les négociateurs… Et, déjà, de ne pas perdre de temps à trouver le bon interlocuteur.
C’est le cas quand le RAID forme, début 2008 , 18 négociateurs du DAS de Colombie, pays où le RAID a déjà opéré à de très nombreuses reprises.
Ce groupe de négociation, au RAID, mobilise six négociateurs, dont un psychologue, ainsi que huit assistants négociateurs et un technicien rattaché. Ce service est à la tête de ligne de la spécialité au sein de la Police Nationale ; c’est donc là, logiquement, que l’on a formé les 30 premiers négociateurs régionaux, implantés dans chacun des dix GIPN, à raison de trois personnels par groupe.

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La négociation du RAID a aussi formé une génération de spécialistes dans la police, à la DCPJ (OCLO notamment), à la BRI-PARIS, mais aussi, désormais, de plusieurs entités spécialisées du ministère de la Défense, régulièrement en prise avec des situations complexes lors de missions à l’étranger.
Le groupe négociation conduit par Christophe Caupenne est d’abord et avant tout dirigé vers l’alerte 24 heures sur 24, en appui de la section d’intervention et de recherche (SIR) du RAID.
Son travail consiste alors à évaluer la dangerosité de la situation et de son (ou ses) auteur(s) (preneur d’otages, kidnappeur, forcené, mutin) à stabiliser cette situation, et à y trouver une solution négociée.

Son deuxième domaine d’expertise réside dans l’appui du ministère des affaires étrangères, via la Cellule Interministérielle de Négociation (CIN).
Dix affaires ont été réglées dans le cadre de la CIN, mais il arrive que le RAID opère au profit du Quai d’Orsay à l’étranger sans activation de cette dernière.
Au total, depuis 2004, 23 affaires de kidnapping ont été résolues à l’étranger.
« Tous les otages ont été récupérés (sains et saufs) » constate Christophe Caupenne.

Ces affaires ont le caractère délicat de celles identiques traitées en France, auquel s’ajoutent, pêle-mêle, des implications diplomatiques, parfois sanitaires, et quasiment toujours un territoire et une culture inconnus dont il faut maîtriser les ressorts dans des temps records.

Des cas qui nécessitent donc un spectre très larde de qualités, par-delà ce qui semble l’évidence, à savoir une qualité d’écoute, un ton, forcément posé, et une connaissance parfaite de l’unité servie.
Par principe, un policier rejoignant la négociation doit donc disposer d’une expérience policière importante, avant même de se lancer dans le « cursus honorum « qui lui permettra , stage après stage, de pouvoir gérer une négociation de crise.
La cellule de négociation est aussi chargée de la coordination nationale du domaine.
A ce titre, elle a formé plusieurs dizaines de spécialistes, en France, mais aussi à l’étranger.
Dans ce même cadre, la « négo » alimente OEDIP (Outil d’Evaluation des Données d’Intervention Police), une sorte de RETEX (Retour d’Expérience) vivant des opérations.
Cet outil est fondamental à plus d’un titre, permettant à la fois un « rejeu » de certaines affaires sans forcément la présence de ses intervenants (même si cette dernière est évidemment un plus)mais aussi une diffusion des leçons tirées de chaque crise.
Sans compter la connaissance d’un très large panel de cas criminels : c’est une évidence de dire que chaque cas est unique, même si certains facteurs ressortent parfois.
Pour les forcenés, les phases de violence arrivent parfois, par l’alcool, et parfois en fin de semaine, au sein de familles séparées ou recomposées.
De même, il est difficile de comparer les modes opératoires de HB de ceux des terroristes du GIA qui se saisirent de l’Airbus, à Alger, en 2004, avant de le faire atterrir à Marignane.
Dans les deux cas, la négociation a joué un rôle important, mais l’usage de la force s’est avéré incontournable.

Tant le RAID que le GIGN, à un an d’intervalle, ont, par chance, pu mettre en œuvre des techniques de négociation qui ont permis, avant l’intervention, de gagner du temps et de préserver les otages.
On l’a vu, le groupe « négo » est responsable de la formation des négociateurs régionaux.

Le niveau nominal de 30 négociateurs étant atteint depuis l’an dernier, le RAID assure désormais des compléments de formation spécifiques, et, s’attache à diffuser le RETEX.

Concentrés, sur le traitement de la criminalité, ces négociateurs régionaux pourraient aussi, comme toute force de police, être mis à profit par un préfet dans des phases de gestion de crise qui ne demande pas forcément un déploiement de forces de sécurité.

L’autre axe d’évolution est lié à cette même FIPN.

Jusqu’alors, l’expérience des personnels étant fondée sur une pratique en PJ des dossiers de lutte contre le grand banditisme (profil de Christophe Caupenne), d’autres membres du groupe étant passés par l’intervention, profil par contre généralisé chez les assistants négociateurs.
Mais, dans les deux cas, les membres disposaient d’une faible connaissance directe des profils terroristes, puisque le RAID, service d’assistance, n’est pas un service de traitement judiciaire du terrorisme, comme peuvent l’être la DCPJ, la DCRI ou la section antiterroriste (SAT) de la PP.

Cette demi-carence est désormais en partie comblée avec le recrutement d’un négociateur supplémentaire, issu de la section antiterroriste du « 36 ».
Ce commandant, qui devient adjoint de Christophe Caupenne, dispose d’une forte expérience judiciaire du domaine, qui sera forcément mise à profit par le RAID et la FIPN. »

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
Article de POLICE PRO n°21 Mai-Juin 2010
Texte de Jean Marc Tanguy
Photo © DGPN-SICOP
 

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