« Chef du groupe « négo » au RAID pendant 11 ans, le commandant Christophe Caupenne a quitté la Police Nationale en Septembre 2011, après plus de 20 ans de service.
Toutefois, pour beaucoup, il reste la référence en matière de gestion de crise et de négociation, au regard de son expérience considérable et de son approche très « humaine » des situations.
« Aimer la vie, la respecter, au point que vous allez tout mettre en œuvre pour sauver la suicidaire, pour raisonner le forcené, ou pour libérer un innocent otage, c’est faire en sorte que la mort ne s’impose pas comme la grande gagnante de la tragédie qui se joue (…)
Voilà ce qu’est le combat du négociateur, qui, tel un démiurge, aurait ce pouvoir d’octroyer une nouvelle chance, ou une nouvelle existence, à celui qui vient de mettre le genou à terre et qui s’est résigné à se perdre dans son propre désespoir ».
C’est en ces termes que Christophe Caupenne résume dans un livre passionnant, « Négociateur au RAID » (paru aux éditions du Cherche-Midi), la mission qui fut la sienne pendant 10 ans au sein de cette unité d’élite.
A écouter cet homme, altruiste, équilibré et à la voix rassurante, on pense que la négociation, c’est sa seconde nature ; mais à l’en croire, c’est le hasard qui l’a conduit sur cette voie.
Entré dans la Police Nationale en 1990, après une année de scolarité à l’Ecole Supérieure des Inspecteurs de la Police Nationale (ESIPN) à Cannes-Ecluse (Seine et Marne), Christophe Caupenne est affecté à l’antenne de Police Judiciaire d’Evry (SRPJ de Versailles).
Il œuvre pendant 6 ans au sein d’un groupe criminel, puis 4 ans au Groupe de Répression du Banditisme (GRB), avant de rejoindre le RAID en 2000.
Lorsqu’il apprend que le commandant Michel Marie, fondateur du groupe « gestion de crise et négociation » du RAID, et précurseur dans ce domaine, envisage de quitter cette unité emblématique, Christophe Caupenne, encouragé par plusieurs collègues, décide de postuler pour cet emploi.
Après les différents tests et entretiens, il est reconnu comme ayant le meilleur profil parmi les candidats et prend ainsi la responsabilité de cette spécialité.
Créée en 1995, la cellule négociation du RAID tient une place très importante dans la gestion de chaque affaire traitée par cette unité d’élite.
Sa mission fondamentale consiste à définir des paramètres de dangerosité et à chercher une solution négociée dans chaque opération menée.
Le nouveau chef des négociateurs, et futur coordinateur national des négociateurs de la Police Nationale (2008), a pour objectif d’améliorer les connaissances sur le sujet, de parfaire les pratiques et d’officialiser le métier.
Lequel sera reconnu par arrêté ministériel du 14 Juin 2006 ; une certification sera délivrée aux unités d’intervention, après trois années de formation et de pratique, sanctionnée par un examen professionnel.
Pendant son passage au RAID, le commandant de Police Caupenne a participé à environ 350 opérations, sans connaître un seul échec ; même si 20% d’entre elles ont nécessité l’engagement des groupes d’assaut.
Il n’en demeure pas moins que la négociation a permis la résolution de 80% de ces interventions.
Selon Christophe Caupenne, toutes les affaires avaient leur importance « en raison de l’énorme charge émotionnelle qu’elles induisent », plus considérable encore quand il s’agit d’une prise d’otages d’enfants.
Cependant, il nous avoue que l’affaire de la maison d’arrêt de Fresnes, les 27 et 28 Mai 2001, l’a marqué tout particulièrement.
Cette prise d’otages en milieu carcéral présentait tous les critères de dangerosité : après une tentative d’évasion par hélicoptère, suivie d’une fusillade sur le toit de la prison, au cours de laquelle un surveillant est gravement blessé, deux détenus particulièrement surveillé (DPS), Christophe Khider et Mounir Benbouabdellah, prennent trois gardiens en otages, sur fond de tentative de mutinerie, d’incendie de cellules…
La quasi-totalité du RAID est déployée sur place, sous les ordres du commissaire Jean-Gustave Paulmier.
Après plus de 20 heures, la négociation a permis d’obtenir la reddition des deux détenus et la libération des otages, sans plus d’effusion de sang.
Lorsqu’il s’est lancé dans la rédaction de son livre témoignage, Christophe Caupenne s’est inscrit dans une logique passionnelle : faire connaître ce métier captivant de « négociateur de crise » qui se pratique dans la Police.
Cet ouvrage permet également de montrer ce que sont les réalités des interventions sur des « individus en crise », qu’il s’agisse de criminels retranchés, de malades mentaux, ou de simples citoyens submergés par un accident de la vie.
Il liste également pour le lecteur les qualités idéales d’un bon négociateur de Police : la capacité d’écoute, qui se révèle comme l’atout majeur, l’optimisme, l’empathie naturelle, la volonté d’aide sincère, mais également la stabilité et le calme, le contrôle de sa personne, l’intuition et la sensibilité, l’esprit logique, de synthèse et de déduction, la communication aisée, la persévérance et la pugnacité ; complétés par l’esprit d’équipe, bien sûr, et une grande disponibilité.
Mais parfois il arrive que, malgré toutes ses qualités et son savoir-faire, le négociateur n’obtienne pas de reddition.
Pour mettre fin à la situation de crise, les unités d’intervention, des forces de Police ou de Gendarmerie n’ont pas d’autre choix que de lancer l’assaut.
La situation est encore plus délicate quand il s’agit d’un malfaiteur puissamment armé et retranché, doublé d’un terroriste fanatique.
Comme ce fut le cas, récemment à Toulouse, lors de l’affaire Mohamed Merah, qui s’est achevée, le 22 Mars 2012, par la mort du terroriste, après plus de 30 heures de siège et de négociations menées par le RAID.
Faut-il pour autant remettre en cause le travail difficile des négociateurs face à un individu déterminé et guidé par le fanatisme religieux ?
« Dans cette affaire, on se trouve face à un profil criminel relativement méconnu dans notre pays, reconnaît Christophe Caupenne, et cela nous conduit à nous interroger sur nos méthodes. Est-ce que les négociations « traditionnelles » sont à utiliser dans cette circonstance ? Je n’en suis pas sûr : la négociation a ses limites. A un moment donné, face à ce genre de terroriste fanatique, peut-être faut-il d’entrée de jeu lui mettre le marché en mains, c’est-à-dire la reddition immédiate ou l’assaut en force.
Vouloir prendre un tel individu vivant est très louable, mais ça comporte des risques énormes en raison du fanatisme guidant ses actes et du sens symbolique qu’il donne à sa mort…
L’affaire de Toulouse va nécessiter d’effectuer un retour d’expérience très important, secteur par secteur, au niveau de la stratégie, du rapport à l’Etat, des moyens utilisés, de l’emploi des moyens spéciaux…
Quant à moi, parce qu’il n’y a pas eu de mort chez nous, j’estime qu’il s’agit néanmoins d’une affaire réussie.
Avec l’affaire de Roubaix, il s’agit là de l’une des interventions les plus difficiles que le RAID ait eu à traiter sur des profils terroristes-combattants ».
Il dit encore « chez nous », pourtant en Septembre 2011, après 20 ans de service, Christophe Caupenne a quitté la Police Nationale.
Il a créé la société Caupenne Conseil, spécialisée dans l’assistance, la formation, le conseil et le coaching, au profit d’entreprises privées ou partenaires de l’Etat, de dirigeants, Comex ou équipes managériales, ainsi que dans la recherche et l’enseignement.
A 45 ans, il bénéficie alors d’une expérience redoutable dans sa spécialité.
Il a en outre, participé à de nombreuses missions d’audits et d’évaluation des risques pour la Direction Générale de la Police Nationale et le ministère des Affaires Etrangères, en France et à l’étranger.
Ses qualités professionnelles lui ont permis d’accéder aux fonctions d’expert référent auprès d’Europol et du groupe Atlas (entité regroupant toutes les unités d’intervention européennes) ; auprès du pôle santé du médiateur de la République, puis du défenseur des droits ; auprès du CEA, de l’Institut des Hautes Etudes et de la Sécurité (INHES), d’expert « négociation et kidnapping » auprès du ministère des Affaires Etrangères, et auprès de l’International Work Group of Negotiation (INWG), dont il est membre fondateur.
C’est encore lui qui a été chargé de la formation initiale et complémentaire des négociateurs régionaux GIPN et des négociateurs de la BRI-PP.
Il a participé également aux stages de formation des négociateurs de la Police Judiciaire, spécialisés dans les enlèvements et extorsions de fonds.
Il a dispensé une formation « négociation » à certaines unités d’élite des Forces Spéciales françaises, mais aussi à de nombreux groupes de négociateurs étrangers en Macédoine, en Serbie, en Hongrie, en Suisse, au Cambodge, en Roumanie, en Pologne, au Canada, au Liban, en Indonésie, et dans plusieurs pays d’Amérique latine.
Enfin, son savoir-faire l’a conduit à devenir formateur en gestion de crise auprès de plusieurs groupes industriels et de grandes sociétés, tels que Air France, Aéroports De Paris, Civipol, Ikea, la Lyonnaise des eaux, BNP-Paribas…
En 2011 donc, Christophe Caupenne a décidé de quitter le RAID, c’était pour lui « une nécessité ».
« Toute unité d’élite se doit d’accueillir sans cesse du sang neuf afin de maintenir au plus haut niveau l’investissement de ses cadres », nous confie-t-il.
Dans cette logique élitiste, il a décidé qu’il était temps de partir vers de nouveaux horizons.
Désireux de continuer dans sa spécialité et son domaine d’expertise, il s’est donc orienté vers le privé afin de créer son propre cabinet de conseil-formation et de continuer à travailler dans le domaine des sciences humaines, de la négociation complexe et de la gestion des crises.
Nul doute que ces 11 années passées au sein de l’unité d’élite de la Police Nationale resteront à jamais marquées dans la mémoire de cet officier de valeur, animé par la passion du métier, qu’il décrit ainsi dans la conclusion de son livre : « Aider son prochain et rétablir la paix publique : c’est tout le sens que je donne à cette nation de service public. C’est le moteur de mes vingt années passées dans la profession (…) et c’est l’une des valeurs nobles de notre société. Dans ce domaine-là, nulle triche, nul calcul (…), juste un élan altruiste, au service de l’autre, quel qu’il soit ».
Tiré de POLICE PRO n°34 Juillet-Aout 201
Texte de Dominique Noel