» Près de 500 policiers du SPHP, le Service de Protection des Hautes Personnalités, assurent la protection du président de la République, du Premier Ministre, des ministres de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires Etrangères. Bénéficient également de ce service les présidents du Sénat et de l’Assemblée Nationale, les anciens titulaires de ces fonctions ainsi que les chefs d’Etat ou de gouvernement en visite en France. Jean-Pierre Diot, 54 ans, a passé dix ans dans ce service.
Paris Match : Quel était précisément votre rôle dans ce dispositif ?
Jean-Pierre Diot : Je suis entré dans la police en 1974. En 1994, j’intègre le SPHP. L’année même où l’ancien service des V.O, les Voyages Officiels, est réformé, à la suite du suicide de Pierre Bérégovoy avec l’arme d’un policier chargé d’assurer sa protection. Le mode de recrutement change. On recherche des formateurs. Je deviens moniteur en « activités physiques et professionnelles ». J’enseigne aux nouvelles recrues le tir et les sports de combat pour former des officiers de sécurité dans les pays qui en font la demande. Puis je suis sélectionné pour intégrer le GAHP, Groupe d’Appui des Hautes Personnalités, en charge des personnalités étrangères en visite en France. J’ai croisé presque tous ceux qui ont foulé le territoire : les chefs d’Etats israéliens, Arafat, Poutine, le roi et la reine d’Espagne, Bill et Hillary Clinton… En mai 2008, j’ai rejoint le secteur privé.
P M : Costumes impeccables, micro dans la manche et oreillettes au cou, on repère assez facilement les officiers de sécurité sur les photos officielles. Pouvez-vous nous décrire votre « uniforme » ?
J-P D : J’ai toujours cherché à être à la fois impeccable et à l’aise dans mon équipement. Chacun choisit à sa guise ses costumes et chaussures. Mieux vaut les prendre confortables et antidérapantes. Rien de plus désagréable que d’avoir un « incident vestimentaire » en pleine action ! En permanence nous portons des armes de poing : plusieurs pistolets automatiques – pour ne pas avoir besoin de recharger en cas d’attentat – , des chargeurs, parfois un fusil d’assaut et des grenades pour les personnalités les plus sensibles. En général on cache tout ce matériel, mais il arrive qu’on le mette en évidence pour jouer sur l’effet de dissuasion. Evidemment, nous disposons d’un système de communication : radio et oreillette raccordées à une batterie. Nous utilisons aussi une mallette en kevlar, qui se déplie en trois parties, comportant des plaques antiballes. Elle nous permet d’abriter la personnalité en cas de besoin . Pour certaines missions, nous enfilons en plus un gilet pare-balles, ce qui modifie le positionnement du matériel. Dans tous les cas, on doit pouvoir accéder à chaque élément rapidement, sans avoir à fouiller.
P M : Certaines personnalités se flattent de cette présence imposante que sont les gardes du corps car elle donne une idée de leur statut, mais la plupart la trouvent pesante..
J-P D : Un bon officier de sécurité doit rendre sa présence imperceptible. La personne que l’on protège ne devrait pas nous voir ni se rendre compte qu’elle est entourée. Il faut réussir à se faire oublier. Au début, on est un peu comme un jeune gardien de la paix qui enfile son uniforme pour la première fois, on a l’impression que tout le monde nous regarde. On devient un bon fonctionnaire quand on ne s’en soucie plus. Ceux que nous accompagnons « subissent » leur protection. Avoir tout le temps quelqu’un à vos côtés se révèle très vite désagréable.
P M : A force de suivre une personnalité, du réveil au coucher, parfois pendant plus de quinze heures par jour, on doit finir par tout savoir sur elle…
J-P D : Voilà pourquoi notre discrétion est essentielle… Avec le temps, on apprend à la connaître, à communiquer sans parler. On devine, à travers un regard, une mimique, une expression du visage, ce qu’elle attend, ce dont elle a besoin.
P M : Nicolas Sarkozy est connu au sein de la profession pour être particulièrement attentif aux policiers, triés sur le volet, qui l’entourent. Quelles relations aviez-vous avec ceux que vous protégiez ?
J-P D : Les agents sont attachés à celui qu’ils protègent et pour lequel ils doivent faire preuve de l’abnégation la plus totale. On développe un rapport particulier. Ce n’est pas amical, c’est autre chose. La personnalité vous serre la main, vous fait un sourire ou pose pour une photo. Mais on ne se parle quasiment jamais. Ce sont des gens très occupés dont l’emploi du temps est géré à la minute près. Nos contrats durent cinq ans et sont renouvelables une fois, mais ils peuvent durer plus longtemps si une personnalité est particulièrement attachée à vous.
P M : Vous êtes en permanence dans les coulisses du pouvoir…
J-P D : Je reconnais que ça a un côté grisant. On se déplace, on observe comment les grandes décisioins sont prises du côté des gouvernants. On fréquente le pouvoir.
P M : Vous êtes-vous déjà retrouvé dans une situation particulièrement délicate ?
J-P D : J’accompagnais Kabila, le père, qui devait assister à une grande réunion dans un hôtel parisien. A un moment le système d’alarme s’est déclenché. Rien de grave : le taux de gaz carbonique avait dépassé le seuil autorisé car il y avait trop de monde dans le bâtiment. Mais les gardes du corps personnels de Kabila ont perdu leur sang-froid et ont sorti leurs armes. Il y a eu un mouvement de panique. Nous avons dû évacuer Kabila en abandonnant ses gardes du corps. Vous savez, on me pose souvent ce genre de questions. Mais l’essentiel de mon travail est plutôt calme. Notre boulot, c’est justement de faire en sorte qu’il ne se passe rien, qu’il n’y ait rien à raconter.
P M : Quel a été le moment qui a le plus marqué votre carrière ?
J- P D : En août 2004, j’ai suivi le pape Jean-Paul II pendant tout son séjour à Lourdes. J’étais ce qu’on appelle son « flanc gauche », le plus près de lui, sur sa gauche. Je le suivais de sa sortie de la chambre à son retour le soir. La nuit, nous organisions des répétitions pour le déplacement de la papamobile. Lorsqu’il a traversé la ville, les gens essayaient de me toucher car j’étais moi-même en contact avec son véhicule. Je ne m’attendais pas à une telle ferveur populaire. A la fin de sa visite, il nous a tous reçus, un par un. J’ai vu de près l’anneau papal ! Je ne suis pas croyant, mais j’ai été très touché par cette attention. Puis il nous a remis une médaille. C’est encore mieux qu’une légion d’honneur, non ?
Interview de Mariana Grépinet pour Paris Match n° 3119 (26 février au 04 mars 2009)