Dans une société violente où les candidats sont de plus en plus visés, rencontre avec des gardes du corps devenus les remparts de la démocratie.

Tout le long de son parcours, il a fait installer un catwalk.

Quand il traverse la salle pour rejoindre la scène du Grand Palais de Lille, ce 5 février, Eric Zemmour lévite à une vingtaine de centimètres du sol, sur une passerelle protégée par des potelets métalliques que relie une sangle noire. Ainsi paraît-il à son avantage, légèrement en surplomb, exclusivement filmé par son équipe qui transmettra ses images à toutes les chaînes de télévision.

Depuis les incidents qui ont émaillé son premier meeting à Villepinte, c’est aussi toute sa sécurité qui a été revue.

La sienne et celle du public.

À Lille, 250 personnes, professionnelles (à 40 %) et bénévoles, garantissaient l’ordre, soit 50 de plus qu’en décembre pour une salle deux fois plus petite.

Eric Zemmour, le candidat le plus menacé

Albéric Dumont, ex-vice-président de La Manif pour tous et président fondateur d’Ultreïa sécurité, qui a rejoint l’équipe Zemmour le 1er septembre, explique qu’il faut désormais s’inscrire sur Internet pour être admis, et présenter un QR code valable une seule fois.

Le service d’ordre dispose d’une liste noire sur laquelle figurent notamment les 44 exfiltrés de Villepinte remis aux forces de l’ordre.

Chaque spectateur est fouillé pour empêcher la présence d’armes, alors qu’une équipe assure la surveillance des réseaux sociaux afin que l’arrivée de groupes d’opposants puisse être anticipée.

Et ce n’est pas tout.

À la sécurité intérieure des meetings, qui relève de la responsabilité des organisateurs, s’ajoute celle de la voie publique, prise en charge par l’État : à Lille, étaient présents 14 fourgonnettes de police et 2 camions équipés de canons à eau.

Des CRS accompagnés de chiens renifleurs avaient pris place sur les toits.

Selon Albéric Dumont, son candidat « cumule » les raisons d’être ciblé : « Il vient perturber le jeu politique établi, est à la fois journaliste et membre de la communauté juive. L’immense majorité des menaces reçues sont antisémites… Alors que la menace numéro un reste le terrorisme, son discours dérange ceux qui sont proches d’un islam radical, militant et extrémiste. »

Le nombre d’élus agressés est en hausse de 47%

L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’Uclat, rattachée à la Direction générale de la police nationale, confirme l’analyse : elle a classé Éric Zemmour comme le candidat le plus menacé.

Sur une échelle allant de T1 (menace la plus élevée, presque jamais attribuée) à T4, il a reçu un T3, renforcé du sigle « CV » (soit « consigne vigilance ») depuis Villepinte.

Même si sa candidature n’a pas encore été validée par le Conseil constitutionnel, six policiers (et jusqu’à huit lors de certains événements) l’entourent déjà, dont trois se relaient en permanence. Deux véhicules sont affectés à sa garde rapprochée.

Menaces de décapitation, garages et voitures incendiés, messages de haine… Jamais la défiance des Français envers leurs élites politiques n’aura paru aussi grande.

Entre janvier et novembre 2021, ce sont pas moins de 1 186 élus qui ont été victimes d’agressions, un chiffre en hausse de 47 % par rapport à l’année précédente.

Les équipes de sécurité des prétendants à l’Élysée doivent redoubler de vigilance.

Regard perçant, costume impeccable et oreillette talkie-walkie, les officiers de sécurité des candidats sont tous issus du Service de la protection, le SDLP.

La sous-direction des personnes compte quelque 650 policiers dont 550 opérationnels (les autres sont en « congé avant retraite », de quoi épuiser leurs deux à huit ans de repos en retard !).

Valérie Pecresse (T4) bénéficie d’une protection permanente depuis 2015, au titre de son mandat de présidente du conseil régional d’Île-de-France.

Son investiture l’a fait passer d’un officier de sécurité à six, supervisés par un chef de mission. « Elle ne ressent pas d’agressivité à son égard, mais elle perçoit la colère du pays à travers ses échanges », rapporte Jean-Marc Zakhia, son conseiller en communication.

« Je n’ai pas peur, assure l’intéressée. Je ne pense pas au danger, sinon je ne ferais pas de politique. J’ai été attaquée violemment par des manifestants gauchistes pendant la réforme des universités en 2009. Menacée après la sortie de Claude Bartolone qui avait dit que je défendais “Versailles, Neuilly et la race blanche” pendant la campagne régionale de 2015. Mais j’essaie de continuer à vivre le plus normalement possible. J’accepte les contraintes qui vont avec les défis que je dois relever. »

Cailloux, œufs injectés d’acide, pommes de terre fichées de lame de rasoir… Les bains de foule sont très risqués

Marine Le Pen a une vieille expérience de la violence politique.

« Quand j’étais petite fille, à l’école, on m’a fait payer l’engagement de mon père. Des persécutions que l’esprit d’une enfant insouciante ne peut pas vraiment comprendre », a-t-elle raconté lors de son grand meeting de Reims, le 5 février, revenant sur l’attentat dont sa famille fut victime alors qu’elle avait 8 ans.

Aujourd’hui, classée T3 par l’Uclat, elle est protégée en permanence par quatre personnes dont deux toujours à ses côtés.

Après les menaces islamistes de 2017, ils ont été jusqu’à six à veiller sur elle.

« Cette campagne est plus tranquille que la précédente, observe-t-elle. Zemmour fait paratonnerre. »

Fini, l’époque où elle ne pouvait faire aucun meeting, aucune conférence de presse « sans que les gauchistes surgissent avec leurs casseroles », référence à l’affaire des emplois fictifs au Parlement européen.

Mais une de ses collaboratrices reste marquée par l’attaque de son véhicule lors du déplacement de juin 2020 à Dijon, en marge des violences causées par la communauté tchétchène.

« Le chauffeur avait été obligé de foncer dans une poubelle pour éviter un cocktail Molotov… »

Thierry Légier, 1,90 mètre pour 97 kilos, crâne rasé, carrure athlétique, garde du corps de Marine Le Pen depuis 2010 après avoir été pendant dix-huit ans celui de son père (« À l’époque, un meeting sur trois était attaqué violemment par des centaines de manifestants »), a de quoi comparer : cette campagne présidentielle est sa sixième. Formé par le capitaine Barril, le « gendarme de Mitterrand », il observe : « On sent l’exaspération, surtout en province. Et quand on fait la tournée des commissariats, on voit bien que les policiers n’en peuvent plus. » S’il est en permanence sur le qui-vive, pour lui, « les bains de foule sont les moments les plus risqués ». Sa mission : faire en sorte que la « bulle » formée autour de la candidate reste hermétique. Cailloux, œufs, pommes de terre (avec, c’est arrivé, des lames de rasoir en quinconce plantées dedans), il a essuyé toutes sortes de projectiles (« Je suis payé pour les prendre à leur place »), déplorant la perte de quelques costumes dont un troué par… des œufs imbibés d’acide sulfurique !

En 2022, des personnes désinhibées s’autorisent des violences qu’elles ne se seraient pas permises avant

Georges Salinas, à la tête de la Direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR) depuis août dernier, regrette l’image d’un homme giflant Emmanuel Macron à Tain-l’Hermitage, dans la Drôme…

« Ça a fait le buzz, mais beaucoup de bêtises ont été dites, assure-t-il. À aucun moment le président n’a été en danger. Nos dispositifs cohérents permettent d’éviter toute menace grave.

Personne n’aurait pu arriver avec une arme.

Mais on n’est jamais à l’abri d’un individu qui décide de mettre une gifle, le risque zéro n’existe pas. »

Cet ex de la BRI dirige les 300 personnes en charge de la sécurité de la présidence, parmi lesquelles 78 policiers et gendarmes d’élite du GSPR, le Groupe de sécurité de la présidence de la République.

Selon lui, en 2022 le danger s’est accru.

Le mouvement des gilets jaunes et la décapitation du professeur Samuel Paty ont marqué les esprits.

« Il y a eu des poussées de fièvre dans la population, même avant les gilets jaunes. On a des gens désinhibés qui s’autorisent des violences qu’ils ne se seraient pas permises avant. »

Même si on l’évoque moins, la menace terroriste islamiste persiste.

À l’instar de ses prédécesseurs, le chef de l’État va pourtant « au contact » de la population.

Des moments que, candidat-président, il a l’intention de multiplier.

Lorsque les bains de foule sont prévus à l’agenda, un filtrage est assuré en amont, avec une fouille afin d’éviter la présence d’armes.

« Mais il peut aussi apercevoir des gens et décider de s’arrêter pour les saluer, il est très spontané », admet Salinas tout en assurant qu’Emmanuel Macron est « à l’écoute de sa sécurité ».

Charge à elle de s’adapter.

Un « Kevlar », cette fameuse valise de protection qui se déplie pour servir de bouclier pare-balles, protège ses arrières. Ses officiers de sécurité disposent aussi de parapluies blindés, aussi utiles pour repousser les gens que pour arrêter des projectiles.

De la fabrication française sur mesure, signée Le Parapluie de Cherbourg.

Depuis deux ans, le patron de la sécurité présidentielle travaille aussi sur la menace technologique.

Le GSPR dispose désormais de dispositifs antidrones. « Chez nous, la première mesure de sécurité est de ne pas parler de sécurité », glisse un responsable de l’équipe de Yannick Jadot .

Le candidat écologiste n’a pas d’officier de sécurité.

Tout juste un privé, Günter, embauché à l’occasion.

Mais lorsqu’il s’est rendu à Lyon, le 29 janvier, il s’est retrouvé seul dans son wagon. Günter avait raté le train…

En matière de service d’ordre, les écolos ont conscience de leur faiblesse.

Pas question pour Mélenchon de faire appel à une police qu’il pense noyautée par l’extrême droite

Jean-Luc Mélenchon n’a jamais aimé les bains de foule.

La faute surtout à un léger handicap : malentendant de naissance, il n’a aucun plaisir à être reconnu dans la rue, où il est « accompagné » en permanence.

Benoît Schneckenburger, son garde du corps agrégé de philosophie et ceinture noire de karaté, n’est plus là au quotidien.

“Mais il a formé un service d’ordre sympa, et son successeur auprès de moi est aussi un philosophe », assure le candidat dans un sourire.

Lors des deux précédentes campagnes présidentielles, Mélenchon disposait de policiers du SDLP, parmi lesquels un « vieux copain » avec qui il se sentait en confiance ; mais celui-ci est parti à la retraite, et il n’en veut plus.

« Même quand le Conseil constitutionnel a validé les parrainages, on ne peut pas imposer l’officier de sécurité auquel tout candidat a droit », rappelle Raymond Soligo, secrétaire régional adjoint du syndicat Unité SGP FO.

Mélenchon ne veut faire confiance à personne : « Je ne vais pas aller donner mon emploi du temps à des gens qui sont noyautés par l’extrême droite », dit-il, évoquant au passage le racisme dans la police.

Il dit pourtant recevoir chaque semaine des menaces explicites émanant de militants d’extrême droite.

« J’ai été menacé de mort nominalement par des gens qui s’amusent dans des vidéos à montrer comment me tirer dessus », rappelle-t-il.

« Jean-Luc est préoccupé par ce sujet. Lorsqu’il a découvert qu’un commando prévoyant de le tuer avait été démantelé sans que les policiers le préviennent, ça l’a terrifié », confirme le député Alexis Corbière, lui aussi pris pour cible. Il ajoute : « Quand on connaît l’histoire et qu’on aime Jaurès comme Mélenchon, on sait qu’il a été assassiné par un nationaliste. »

« Jaurès », lui, roule pour Christiane Taubira. « Jaurès », c’est le surnom d’Éric Plumer, chef du service d’ordre du PS pendant dix-sept ans, licencié après la débâcle de 2017. Depuis, il a créé sa propre société de sécurité.

Pendant les municipales de 2020, il s’était mis au service d’Anne Hidalgo : « Je l’avais croisée par hasard dans la rue et, en partant, je lui avais dit : “Si tu as un besoin un jour, n’hésite pas !” Et elle m’a rappelé », raconte cette armoire à glace.

En tant que maire, Anne Hidalgo (T4) bénéficie en permanence de la protection d’un officier de sécurité.

Cette fois, ce sont des proches de Christiane Taubira qui l’ont contacté.

Depuis, avec des copains, bénévoles comme lui, et anciens socialistes, il assure sa sécurité : « Au PS, nous étions plus de 600. Je les ai relancés et nous sommes actuellement une cinquantaine mobilisés. Quand elle fera des meetings plus importants, il faudra que j’étoffe. »

Ex-ministre régalienne, Christiane Taubira pourrait bénéficier des services du SDLP.

Elle a préféré décliner, même s’il lui faut faire face aux adversaires du mariage pour tous, réforme qu’elle a portée. C’est à Lyon, fief des nationalistes Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac, exclus du FN par Marine Le Pen et habitués des actions « coup de poing », qu’elle a choisi de lancer sa campagne.

Éric Plumer était ce jour-là en alerte : « On sait, lâche-t-il, qu’on aura des problèmes à un moment ou à un autre. » L’homme connaît aussi bien Christiane Taubira et Anne Hidalgo que Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, croisé l’an dernier lors des journées d’été EELV à Poitiers, dont il assurait la sécurité. Face aux divisions de la gauche, il se tient droit. Le trait d’union inattendu…”

Source : ParisMatch.com – article écrit le 1er mars 2022 par Marina Grépinet

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