Combats, varappe, apnée… Ils ont des dizaines d’épreuves à passer pour avoir une chance d’intégrer les rangs de l’unité d’élite de la Police Nationale, qui mène la vie dure aux recrues potentielles.

Nous avons suivi en exclusivité certaines de ces sélections mythiques, où l’adrénaline est palpable à chaque instant.

Aspergé d’eau glacée par des hommes en cagoule et treillis noirs, Sam# se tient debout, équipé d’un masque de plongée occultant.

Le jeune policier, candidat aux sélections de l’unité de Recherche Assistance Intervention Dissuasion (RAID), sait qu’il vient d’être conduit dans une inoffensive piscine municipale, mais redoute les épreuves qui se déroulent dans le noir absolu.

Sous les injonctions des membres de l’unité d’élite de la Police Nationale, il se résigne sans hésitation à sauter dans le grand bain.

Sam le sait, un refus serait éliminatoire. Alors, tout aussi discipliné que motivé, il fonce, ne recule pas devant l’inconnu, aussi effrayant soit-il.

Sous l’eau, son équipement de 25 kilos l’entrave. Il saisit à l’aveugle la « ligne de vie » que lui tend un examinateur, avec une seule idée en tête : suivre cette corde coûte que coûte, même si elle court sur plusieurs mètres tout au fond du bassin.

Passer chaque piège en récupérant des informations, des bribes de phrases, des indices incohérents qu’il devra restituer mot pour mot à l’issue de l’épreuve.

Plusieurs instructeurs l’encadrent, lui crient des ordres, le malmènent, le déstabilisent en permanence.

 Accroché à la cordelette, Sam tente soudain de remonter à la surface pour prendre une grande inspiration, qu’il sait indispensable à la poursuite de l’épreuve.

Mais, au tout dernier instant, une immense bâche tendue à la surface de l’eau l’en empêche.

« Ne pas paniquer, réfléchir, trouver la solution sans céder à la claustrophobie, c’est ce qu’on leur demande dans ce type d’exercice », commente l’un des implacables officiers qui scrute les réactions du candidat.

Tête collée à ce plafond de plastique, le jeune policier trouve une issue et peut enfin respirer.

Mais ce n’est pas terminé.

Aucune pause n’est autorisée, tout est chronométré. Toujours les yeux bandés, il doit encore s’extraire d’une énorme bouée, traverser une cage immergée, escalader de faux rochers…

« Nous recevons environ 200 candidatures par an »

Avec le stress, les informations à retenir et les bousculades répétées des opérateurs du RAID, en fin de course, les aspirants sortent de l’eau exténués, certains au bord de l’asphyxie.

L’un des deux médecins du groupe présents leur administre, au besoin, un peu d’oxygène, en plaçant un masque sur leur visage.

Dans un dernier effort, les candidats éructent pêle-mêle les infos récupérées sous l’eau.

C’en est fini pour la matinée, retour à l’Etat-major de l’unité d’élite à Bièvres, dans l’Essonne.

Vue de l’extérieur, cette scène parait irréelle, à mi-chemin entre une terrible scène de bizutage et un insupportable cauchemar.

Même si les épreuves les épuisent, les poussent à chaque fois un peu plus à la limite de leurs capacités physiques et psychologiques, les candidats ne bronchent pas, encaissent, et en redemanderaient presque, parfois.

      Clés de cette semaine de supplices, ils auront une chance de pouvoir intégrer le RAID.

Tous en rêvent. Et veulent rejoindre les rangs de ces policiers mythiques, prêts à honorer la devise de l’institution – « servir sans faillir » – lors de missions hautement risquées.

Suivre les pas de héros nationaux, tel Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID, qui a dirigé, entre autres, les opérations lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher, en janvier 2015.

« Chaque année, nous recevons environ 200 candidatures de policiers qui veulent rejoindre nos équipes, souligne Jean-Baptiste Dulion, 52 ans et patron du RAID depuis 2017.

Ils sont issus de la BAC (Brigade Anticriminalité), de police secours, des brigades cynophiles… »

« Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est les recrues qui se révéleront dangereuses en opération » Jean-Baptiste Dulion, patron du RAID

En 2022, après une première sélection sur dossier, 90 candidats ont pu passer, dans une dizaine d’antennes régionales, des tests de validation de leurs aptitudes physiques et d’agilité au tir. Seuls 60 d’entre eux ont franchi ce premier cap.

Puis, deux groupes de 30 aspirants ont été convoqués en début d’année au siège national, pour se confronter à cette fameuse semaine de sélections.

Aucune femme n’a postulé cette année.

Au programme, cinq jours d’épreuves concoctées et surveillées par des opérateurs déjà en poste.

Toutes plus difficiles les unes que les autres. « Indépendamment, aucune épreuve n’est insurmontable, explique l’officier en charge de l’organisation des sélections. Le défi, c’est de s’y soumettre du dimanche au vendredi soir, de jour comme de nuit, sans que les candidats ne sachent ce qui les attend. »

Nous sommes au cœur de l’hiver.

Le froid et les trop rares heures de sommeil minent vite le moral des candidats. « Durant cinq jours, nous plongeons ces policiers aguerris, parmi les meilleurs de France, en situation de stress extrême, poursuit Jean-Baptiste Dulion.

Ils ne dorment quasiment pas, mangent peu.

Nous les faisons douter de leurs capacités en permanence, les éliminons à tout moment, les uns après les autres, devant leurs camarades.

C’est très éprouvant nerveusement. Mais nous devons recruter uniquement ceux qui ne sont ni claustrophobes, ni aquaphobes, ni sujets au vertige, et qui sauront garder leur sang-froid en toute situation, faire preuve de mesure et de discernement dans leurs décisions ».

La cohésion fait leur force sur le terrain

Comme les autres examinateurs, qui élaborent chaque épreuve et décideront, lors d’un grand jury final, du sort des quelques derniers postulants, le commissaire de police Dulion, droit dans son uniforme noir, ne tolérera aucun écart.

Manque de ténacité ou de jugeote, individualisme, antipathie, emportement…

La moindre défaillance face à l’adversité est analysée par les membres du groupe et deux psychologues.

« Nous sommes tous passés par là avant eux, à notre tour aujourd’hui de choisir avec qui nous nous voyons partir sur le terrain en intervention », explique l’un des opérateurs.

Car, quand le RAID est mobilisé, c’est forcément sur des cas de force majeure, des situations de crise et de chaos.

Les équipes agissent alors dans l’urgence afin de neutraliser des individus menaçants et autres forcenés lors de prises d’otages, d’attentats, etc.

« Ce que je veux éviter à tout prix c’est de recruter des déséquilibrés qui se révéleront dangereux en opération, renonceront devant l’obstacle et mettront la vie de nos coéquipiers en péril, poursuit le patron du RAID.

Tous les opérateurs sont des tireurs d’élite, équipés d’armes hyperperformantes.

C’est donc aux membres du RAID de choisir leurs partenaires, ceux avec qui ils vont partager le quotidien, les déplacements, ceux avec lesquels ils pourront intervenir en toute confiance dans ces situations critiques.

« En plus des performances physiques de haut niveau, indispensables pour intégrer l’unité, la cohésion fait leur force sur le terrain, face au danger et à l’inconnu ».

Aux innombrables exercices, « plutôt classiques », de tir, d’interpellation, de passages d’obstacles dans les bois, de franchissement de fosses, de planques, de filatures, s’ajoutes d’autres exercices éliminatoires particulièrement redoutés, notamment celles de nuit.

Comme la tyrolienne, tendue sur la façade du bâtiment du XVII siècle de l’état-major.

Les prétendants doivent non pas la descendre – trop facile ! – mais la remonter à la seule force de leurs bras, déjà tétanisés après avoir dû courir, ramper, sauter des obstacles ou encore déjouer une agression.

Il y a aussi le passage de buses ; d’étroits tuyaux installés dans la pénombre des sous-sols du siège du RAID et dont le diamètre est inférieur à la largeur des épaules d’un adulte.

Les candidats doivent impérativement s’y glisser et ramper sur plusieurs mètres dans l’humidité, sans se laisser déconcentrer par les assourdissants aboiements des chiens et les cris des policiers qui les encadrent, tout en répondant à des questions de culture générale : « Quelle est la devise du RAID ? » « Qui était Winston Churchill ? »

Depuis 2015, une simulation d’intervention en configuration « tuerie de masse » est aussi au programme, avec, pour camper l’ambiance, la diffusion de la bande-son enregistrée lors du massacre du Bataclan.

Arrivent enfin, pour la poignée de candidats rescapés de cette folle semaine, juste avant la convocation devant le jury final, les célèbres épreuves de combat face aux opérateurs du RAID, souvent d’ex-champions du monde de boxe, de lutte ou de MMA !

Parfois, la désobéissance est salutaire

Mais il y a surtout l’épreuve de vertige ;

Certaines années, les candidats le savent – car ils ont tous vu les vidéos circuler sur YouTube-, leurs prédécesseurs ont dû décider s’ils acceptaient ou non de se jeter les yeux bandés dans le vide.

Cette nuit-là, ils ne sont plus que neuf en lice.

Une légère bise glacée souffle au sommet de l’une des plus grandes salles de spectacle et de sport d’Europe.

Les opérateurs du RAID, tout de noir vêtus, attendent les aspirants dans l’enchevêtrement de poutres métalliques devenu leur terrain de jeu pour une nuit.

Steeve, jusqu’ici policier à la BAC, s’avance.

Il enfile son baudrier et se hisse sur l’une des poutrelles les plus hautes.

Il fait alors face aux instructeurs encagoulés.

Il tremble. Sous ses pieds, 35 mètres plus bas, la pelouse verdoyante du terrain de rugby semble se préparer à le réceptionner en cas de maladresse.

L’un des opérateurs lui intime l’ordre de marcher, de se retourner, puis de sauter sur une autre poutre, avant de revenir à sa place initiale.

Là, toujours plus autoritaire, il l’assomme de questions.

« Pourquoi veux-tu rejoindre le RAID ? Qui es-tu ? Quel est le titre du dernier livre que tu as lu ? Quelle est la différence entre un rond et un cercle ? Me fais tu confiance ? »

S’il a bredouillé lors de ses réponses précédentes, à cette ultime question, sa voix se fait claire et forte, il clame « oui » !

L’opérateur lui ordonne alors : « Puisque tu es harnaché avec deux cordes, détaches-en une. »

Steeve n’hésite pas, il retire le mousqueton.

Le gradé lui lance ensuite : « Bien, retire l’autre maintenant ! »

Le jeune candidat hésite. S’il se détache, il ne sera plus en sécurité et risquera de tomber.

S’il désobéit il pourra perdre sa place au RAID…

L’autre insiste, intimide, presse…

« Tu doutes, donc tu ne me fais pas confiance ? » « Si, mais je ne me détacherai pas. » Bonne réponse, la désobéissance est parfois salutaire.

Il gagne le droit de rejoindre la terre ferme et de retourner au camp de base terminer sa courte nuit.

Nous ne saurons que peu de choses des candidats, dont la vie et l’identité doivent, pour leur sécurité, rester secrètes, mais on devine que la plupart de ces hommes ont déjà une belle expérience du terrain, et tous semblent avoir dépassé la trentaine.

« Pour intégrer nos unités, il y a, depuis quelques années déjà, plus de limite d’âge ni de sexe, explique le patron, Jean-Baptiste Dulion. Car nous considérons que l’expérience professionnelle est plus importante que la seule force physique. Ce qu’il faut avant tout, c’est être un très bon policier, pas simplement un sportif de haut niveau. Il faut aussi avoir une intelligence relationnelle et opérationnelle fiable. Et il ne suffit pas de rêver d’intégrer le RAID ni d’obéir aux ordres pour amadouer les examinateurs.  Enfin, les postulants doivent avoir autre chose dans leur vie que ce corps d’élite, avoir connu d’autres expériences que leur seule carrière dans la police. Or, avant 28 ou 29 ans, c’est trop tôt. »

Lors des épreuves, certains parlent spontanément de leurs hobbies – pêche, bricolage, évoquent la fierté de leurs enfants s’ils parviennent à intégrer le groupe, donnent le titre de la dernière histoire qu’ils ont lue à leur fille, le soir, quand ils répondent aux questions pièges.

Ce n’est pas seulement touchant, c’est la preuve, indiscutable aux yeux des recruteurs, qu’ils ont une famille, des passions qui les font vibrer et leur donnent envie de rentrer – vivants- chez eux chaque soir.

Car intégrer le RAID, c’est aussi se préparer à devoir faire face à l’inimaginable, à risquer sa vie à chaque sortie.

« Depuis les attentats de 2015, nous savons que nous devons être prêts à tout type de nouvelle menace, et qu’il nous faut désormais pouvoir riposter et agir au plus vite, ajoute Jean-Baptiste Dulion.

L’an dernier, les hommes du RAID sont intervenus plus de 900 fois, sur le territoire national comme à l’étranger. »

En 2021, le groupe a été mobilisé 89 fois pour maitriser des forcenés, dont 17 avaient pris des otages.

Il a également participé à 468 opérations d’interpellation en soutien à la Police Nationale (dont 128 concernaient le trafic de stupéfiants, 273 des actes de droit commun et 67 relevaient du terrorisme).

Le RAID est aussi chargé de la protection de personnalités politiques. L’an dernier, il a ainsi réalisé près de 400 missions aux côtés du président de la République, du Premier ministre, ou a encore extrait les ressortissants français et le personnel de l’ambassade de Kaboul, en aout 2021, quand les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan.

Recruter ces hommes d’élite est donc une affaire délicate.

« L’idée est de ne jamais baisser le niveau de nos critères de sélection pour répondre uniquement à des enjeux chiffrés de recrutement, souligne l’officier en charge de la préparation des épreuves.

Dans toutes nos unités, les hommes doivent être choisis et formés de la même manière, afin d’être opérationnels au même niveau dans toutes nos antennes, en région et dans les DOM-TOM ».

Cette année, sur les 200 candidats, seuls 17 ont finalement été retenus.

« Mais ce n’est qu’un début pour eux, affirme le patron du RAID. Ils vont désormais suivre six semaines de formation à nos techniques d’intervention. Puis encore six mois de période probatoire et de vie au sein du groupe. Nous pouvons les éliminer à tout moment. Et en cas de doute, je n’hésite pas à exclure un gars, même si c’est un titulaire. »

Leurs contrats sont renouvelables tous les cinq ans, et ajournables n’importe quand, sur décision du patron.

Dur, après tant d’efforts et de sacrifices.

Mais, au RAID, ne garder que les meilleurs, c’est avant tout une question de vie ou de mort.

Tous les prénoms ont été changés afin de respecter l’anonymat des policiers, sauf pour Jean-Baptiste Dulion, l’actuel patron du RAID.”

Source : LeParisien – article écrit le 27 mai 2022 par Sophie Stadler

Photo© Sandra Chenu Godefroy

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