Une fore dissuasive

Forces à vocation régionale au service des préfets, les Groupes d’Intervention de la Police Nationale (GIPN) ont été créés suite à l’issue dramatique de la prise d’otages pendant les Jeux Olympiques de 1972, mettant l’Europe face à un constat d’impuissance….

Photo © DCSP

Volontaires et polyvalents, leurs membres se voient confier des missions multiples et évolutives, dans le cadre de la gestion de situations de crise, sur le territoire national mais aussi à l’étranger.

Des unités très spécialisées qui sont au fait des dernières évolutions des diverses formes de violence générées par notre société.

Rencontre avec des hommes surentrainés, prêts à intervenir vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, en métropole et outre-mer, en cherchant à éviter tant que possible l’échec d’une issue fatale.

« Ok, les gars c’est parti ! N’oubliez pas les grenades, la perche et les explosifs : l’individu retranché est armé et il nous faudra détourner son attention avant de casser la porte ».

9 heures, dans les locaux du GIPN de Marseille, au sein de l’hôtel de police de la division Nord, c’est l’effervescence.

Lors d’un briefing rapide, Gérald, adjoint du commandant Didier Andrieux, chef du GIPN, a fait le topo sur l’opération en cours :

Un homme s’est retranché chez lui, au troisième étage d’un immeuble, avec un fusil : il a déjà fait feu par la fenêtre et menace de faire sauter l’immeuble… »

Photo © DGPN / SICOP

L’intervention doit être rapide, compte tenu des risques encourus par le voisinage.

Après s’être équipés, les hommes embarquent dans leurs monospaces, et un convoi de quatre véhicules se met en branle avec gyrophares et sirènes retentissantes.

La progression est rapide mais sure, chaque pilote étant spécialisé en conduite sportive en milieu urbain.

A proximité des lieux de l’intervention, la discrétion est de mise, les véhicules sont garés rapidement, les hommes s’éparpillent et se positionnent, chacun sachant précisément quel rôle il doit accomplir.

D’autres services de police ont déjà organisé un périmètre de sécurité et un négociateur est entré en contact avec le forcené pour tenter de désamorcer la crise…

Les tireurs de précision se positionnent  sur les hauteurs environnantes, avec en ligne de mire la fenêtre de l’appartement  concerné.

Les artificiers préparent  les explosifs  nécessaires pour faire sauter la fenêtre.

Une cohorte composée de plusieurs binômes progresse  déjà rapidement  le long de l’immeuble, avec boucliers balistiques, casques lourds et gilets pare-balles, armes au poing.

Progressant dans la cage d’escalier tout en sécurisant les étages, le groupe se sépare en deux.

Les spécialistes des cordes vont se positionner en rappel au quatrième, en surplomb de la fenêtre derrière laquelle se situe le suspect, prêts à intervenir avec armes à feu et grenades s’il tente de sortir par la façade.

Au troisième, le groupe se positionne devant la porte, prêt à l’enfoncer d’un coup de bélier pour pénétrer dans l’appartement et immobiliser l’individu.

En bas de l’immeuble, un homme, guidé par radio par Gérald, place deux grenades sous la fenêtre concernée, au moyen d’une perche télescopique.

Tous les groupes communiquent entre eux au moyen d’un système VHF opérant à travers les murs ; ils entendent également  l’avancée du  dialogue entre le négociateur et le suspect…

Bientôt, plus aucune solution soft n’est malheureusement envisageable et l’ordre est donné d’intervenir.

La tension est palpable auprès de chacun, mais tout se passe très vite : la perche est montée d’un coup au niveau de la fenêtre que les grenades font voler en éclats. Au même moment, les hommes en façade descendent juste au-dessus  de l’ouverture, prêts à tirer, et, à l’intérieur, profitant de l’effet de surprise  lié à la détonation, le groupe enfonce la porte et pénètre dans l’appartement. Le suspect est tétanisé, surpris par le bruit et l’ensemble du dispositif.

Deux hommes se jettent sur lui, le mettent à terre et le désarment, pendant que d’autres le gardent en joue.

Tout a été synchrone et l’effet de surprise est total !

Nous venons d’assister à l’un des nombreux exercices  auxquels se soumettent régulièrement les hommes des GIPN, correspondant à l’une des nombreuses situations  de crise qu’ils sont amenés à gérer chaque année.

Les GIPN sont, en effet, des groupes d’intervention surentrainés, prêts à intervenir rapidement dès que la situation l’exige.

L’origine des GIPN remonte à 1972.

Pendant les JO de cette année-là , un commando prend en otage la délégation  israélienne dans le village olympique de Munich : dépassée par les événements , la police allemande ouvre le feu sur le commando, qui exécute les athlètes israéliens.

L’issue dramatique de cette prise d’otages fait réagir l’ensemble des pays européens, qui décident alors de constituer des unités capables de lutter contre les différentes formes de terrorisme et de gérer  des situations de crise.

En France, le 27 octobre 1972, onze groupes régionaux sont créés au sein de la police nationale.

Ils comprennent une vingtaine d’hommes chacun, spécialisés dans l’intervention et la protection.

Le GIPN de Marseille est le premier créé, par le célèbre commissaire divisionnaire N’Guyen Van Loc. Le “Chinois”, surnommé ainsi par le “milieu” commandera ce groupe durant quinze ans.

Dans les années 1980, le nombre des GIPN est amené à neuf : sept en métropole (Marseille, Nice, Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Rennes et Lille), deux outre-mer (La Réunion et Nouvelle-Calédonie).

En complément de ces neuf unités existe actuellement un GISP (groupe d’intervention pour la sécurité publique) aux Antilles, qu’il n’est pas improbable de voir transformé ultérieurement en un dixième GIPN…

Sur son lieu d’implantation, le GIPN dépend du préfet de police et de la DCSP (Direction Centrale de la Sécurité Publique) au sein de laquelle se trouve la Cellule de Coordination des GIPN.

Photo © DGPN/SICOP

Hors de son lieu d’implantation, il dépend de la DGPN (Direction Générale de la Police Nationale).

Mais on n peut pas parler des GIPN sans faire référence au GIGN de la gendarmerie nationale.

Ces deux types d’unités spécialisées sont très proches en termes de compétences et de matériels, leur différence réside dans leurs zones d’interventions, comme pour la police nationale et la gendarmerie d’une façon générale.

Les textes de loi veulent, en effet, que les GIPN n’interviennent qu’en zones urbaines et le GIGN en zones de campagne (1).

De même, les interventions sur des navires en dehors des zones portuaires  ainsi que des aéronefs restent la spécificité du GIGN  de la gendarmerie nationale, qui bénéficie de matériels d’intervention plus lourds et adaptés, notamment aériens (Écureuil, Fennec, Super Frelon, Puma…).

De fait, la police nationale est bien souvent tributaire de moyens aériens extérieurs : Sécurité civile  notamment (ESC 145, Ecureuil, Alouette III…).

Chaque GIPN est constitué d’une vingtaine d’hommes (ceux de Lyon et Marseille ayant des effectifs plus élevés).

Les opérations auxquelles ces hommes sont confronté sont délicates et demandent à ces professionnels un large éventail de compétences pour intervenir de façon efficace et sécurisée.

Mais la psychologie joue également un rôle prédominant dans le controle de nombreuses situations. Elle permet bien souvent d’éviter une intervention musclée, laquelle n’est jamais sans risque, ou de “réussir une intervention sans même l’avoir réellement commencée”, comme diraient certains.

Chaque année, un concours est organisé au niveau national par la DCSP au sein d’une structure  de la DFPN (Direction de la Formation de la Police Nationale)  afin d’alimenter les effectifs des sept GIPN  de métropole.

Ces recrutements sont nécessaires pour faire face aux rotations annuelles (deux en moyenn eau sein de chaque groupe). Tous les gardiens de la paix et officiers de la police nationale peuvent faire acte de candidature à partir du moment où ils répondent aux critères administratifs requis : cinq ans d’ancienneté  et 35 ans maximum. Sur quelques centaines de fonctionnaires de police qui s’inscrivent , ils ne seront plus qu’environ une cinquantaine  de prétendants au terme d’un premier tri sur dossier, suivi de tests qui conduiront à la sélection finale  de dix à vingt candidats.

“On sélectionne au départ les hommes qui possèdent les meilleurs résultats au sein de leur service  et qui sont diplômés dans l’une de nos spécialités, comme les cordes ou la plongée” précise Didier Andrieux, commandant du GIPN de Marseille depuis 1996.

Après écrémage sur dossier, les candidats retenus subissent quelques épreuves sur leur lieu de travail.

Photo © DCSP

Ceux qui subsistent  doivent ensuite passer avec succès di jours de sélections, à Saint-Malo ou à Nîmes, basées sur une étude de la personnalité et des tests physiques.

Les tests d’intelligence sous forme de QCM (questions à choix multiples) ainsi qu’un entretien avec un psychologue permettent de déterminer si les candidats possèdent certains  des traits de caractère recherchés : stabilité, esprit réfléchi, maitrise de soi un certain vécu, un esprit de camaraderie et le gout de la collectivité.

Des tests médicaux permettent d’évaluer la résistance à l’effort, la vue, l’ouïe, et.

Un entrainement quotidien est pratiqué pour mieux étudier leurs capacités en termes de force physique, de techniques de sports de combat, d’endurance.

Il faut également s’assurer que les candidats ne souffrent pas de claustrophobie ou de vertige.

Une mise en situation professionnelle rejoint d’ailleurs bien souvent l’avis du psychologue.

En 2006, sur les 300 candidats retenus sur dossier, 50 ont passé ces tests et douze ont été retenus.

Une fois habilités, les candidats doivent suivre six semaines de formation, puis une évaluation de six mois au sein de leur GIPN d’affectation. Vient alors un dernier bilan sur chaque candidat, parfois suivi d’un ultime écrémage. Si l’âge limite , quels que soient le grade ou la fonction, est de 47 ans au GIPN, il ne constitue pas le seul critère de préservation d’un membre du groupe.

Photo © DCSP

Aussi par la suite, tout au long de leur activité, les hommes des GIPN passeront des tests tous les trois ans afin d’évaluer leur aptitude et leur motivation.

Pour le commandement  Didier Andrieux, il faut s’assurer  que le groupe reste au top, car “si la France fait appel à la police nationale lorsqu’elle a un problème, c’est vers les GIPN que cette dernière se tourne dans les situations extrêmes, où le droit à l’erreur est exclu”.

En avril 2007,  les sélections se feront pour la première fois en commun avec le RAID. Polie Pro sera au rendez-vous  afin de vous les faire vivre de l’intérieur…

Unités de la DCPS, les GIPN sont implantés au sein des services territoriaux de neuf grandes villes de province et d’outre-mer.

Très spécialisés, ils interviennent en assistance d’autres services de la police nationale dès qu’une situation l’exige.

Chaque fois, ils se doivent  de préserver  l’intégrité physique des intervenants et de n’utiliser la force qu’en dernier recours, s’il s’agit de la seule issue possible.

Le tir demeure l’extrémité, vécue comme un échec dans le processus de neutralisation.

“Les membres du GIPN ne sont pas des super flics qui cherchent à faire parler la force ou le langage des armes…Les personnes interpellées ne sont pas forcément  des tueurs mais bien souvent des individus qui ont ” pété un câble” suite à une situation difficile : dès que possible, nous tentons de désamorcer la situation par le dialogue, l’aspect psychologique. En revanche, si nos missions fondamentales demeurent les mêmes, nos adversaires dont de plus en plus armés aujourd’hui” explique le capitaine Dispans, de la Cellule de Coordination des GIPN de la DCSP à Paris.

Le négociateur, en liaison radio avec le groupe d’intervention, tente de trouver la solution la plus sage pour tous, qui exclut  l’usage de la force.

Volontaires, les hommes des GIPN sont amenés, de par leurs aptitudes et leur armement, à intervenir lors des situations  les plus critiques : mettre hors d’état de nuire des terroristes, des forcenés retranchés ou des preneurs d’otages est leur mission prioritaire. Leur force réside dans leur mental hors norme et dans la rigueur extreme de leur entrainement.

Chaque homme doit, en effet, consacrer environ 40% de son temps à des activités physiques, le reste étant réparti entre les entrainements et les missions dévolues au groupe.

“Chez nous, les hommes se répartissent  en trois équipes qui s’organisent en fonction du planning  de la semaine et des missions qui surviennent : une en première alerte, prête en vingt minutes si nécessaire, une autre en deuxième alerte et une troisième en service ordinaire, c’est à dire tout sauf les missions prioritaires et d’assistance” précise Gérald, adjoint du commandant Andrieux.

Une semaine  type voit généralement se succéder deux séances de tir, deux de sports de combat (boxe, judo), une séance de mise en situation (forcené retranché, terroriste avec  explosifs, preneur d’otage…) et une séance d’entrainement par pool de spécialité.

S’ils sont polyvalents afin de pouvoir remplacer au pied levé l’un des éléments, chacun de ces hommes a une spécialité, comme les combat, l’escalade, le tir de précision, les explosifs, la plongée.

Photo © DGPN/SICOP

En fait , au bout d’un an de service, on demande généralement à un membre  du groupe de s’investir  dès qu’il maitrise l’ensemble des techniques propres à l’équipe : on rejoint là l’esprit de groupe, valeur très présente  lors des sélections où le mental est prédominant.

En alerte, vingt quatre heures sur vingt quatre, 365 jours par an, les hommes des GIPN sont également sollicités  pour des missions d’assistance, de protection de personnalités, d’escorte de prisonniers lors de procès sensibles, des interventions sur des émeutes au sein des prisons ou de surveillance lors d’événements  politiques de grande ampleur (élections , personnalités politiques faisant l’objet de menaces, déplacements du président de la République…).

Depuis l’été 2006, les hommes des GIPN participent, entre autres missions, à la protection de l’ambassade de France à Beyrouth, au Liban.

Les affaires les plus courantes concernent les forcenés et les preneurs d’otage.

Pour  le seul GIPN de Marseille, on compte 27  interventions en 2005 et onze en 2006, sans parler des menaces de suicide et des coups de feu depuis un appartement…

Voici quelques-unes parmi les opérations les plus marquantes du GIPN de Marseille durant ces trois dernière années : à Marseille même, une femme vraisemblablement déséquilibrée prend en otage un avocat (malgré  l’utilisation du Taser, la femme a réussi à pivoter et à faire usage de son arme….) ; à Avignon, c’est un père de famille qui prend ses propres enfants en otages, suite à un divorce mal négocié ;  à Perpignan, le GIPN doit intervenir lors de confrontations violentes entre des titans et des maghrébins.

L’une des dernières opérations de ce type s’est effectuée à l’encontre d’une femme dont les deux molosses avaient été saisis : elle s’est alors rendue à la SPA de La Valentine, à Marseille, avec une arme pour qu’on lui rende ses chiens.

Le Taser a été utilisé avec efficacité.

Photo©Damien Meyer

Quant aux missions d’assistance, elles concernent  surtout l’appui aux services d’investigation qui doivent interpeller des individus dangereux à domicile (soit une centaine d’interventions de ce type par an, à Marseille).

La protection lors de ce procès à risques est aussi présente.

Les techniques d’intervention progressent et s’adaptent à l’évolution des situations.

Il faut dire que les moyens  des malfaiteurs sont de plus en plus lourds. Cela est particulièrement  le cas chez les trafiquants de stupéfiants.

Récemment , à Marseille, une bande armée de grenades soviétiques et de fusils d’assaut M16, armement jusque-là- réservé au grand banditisme, a été démantelée.

On ne peut pas ne pas penser aux gangs latino-américains qui sé”vissent en Amérique du Nord, et depuis peu en Espagne où la barrière de la langue ne leur fait pas défaut…

D’après certains experts, si l’on n’y prend pas garde, le phénomène pourrait s’étendre progressivement à l’Europe, avec une violence pour l’heure propre à l’Amérique.

Le commerce des stupéfiants est, en effet, tellement lucratif (60 000 euros par semaine en moyenne pour une bande) qu’il y a depuis quelques années une surenchère de l’armement  sur ce marché.

“Cela se répercute à notre niveau dans le cadre de nos interpellations lors desquelles on peut parfois tomber sur des armes de guerre” , reconnait le commandant Andrieux.

Du fait de leur professionnalisme, les missions de formation à l”étranger font aussi partie  des activités courantes des membres des GIPN.

Le Service de Coopération Technique Internationale de la police nationale permet d’implanter des fonctionnaires spécialisés dans 160 pays à l’heure actuelle, en fonction des besoins locaux  en termes de formation et d’assistance, de protection, comme pour  l’ambassade de France à Beyrouth (voir Police Pro n°3) : des roulements  s’organisent entre les groupes du GIPN et le RAID.

La lutte contre l terrorisme prend également de plus en plus d’importance, avec toujours cette insistance à mieux comprendre les individus et ce pour quoi ils combattent.

“Il y a une remise en cause de notre philosophie d’intervention, visant à privilégier le dialogue et  à éviter l’usage des armes, car dans ce contexte précis du terrorisme nous sommes confrontés à des gens qui n’hésitent pas à se faire sauter, comme ce fut le cas récemment en Espagne” précise le commandant du GIPN de Marseille.

La force des unités spécialisées telles que le RAID, le GIGN ou le GIPN, est sans aucun doute de savoir s’adapter rapidement à l’évolution de la délinquance et des diverses formes d’agression que connait notre société moderne en perpétuelle  transformation.

Toutefois, si à leur création en 1972 les hommes des GIPN étaient constamment appelés, aujourd’hui d’autres services comme les BAC ou la CS 75 sur Paris remplissent  des missions qui leur étaient autrefois automatiquement  dévolues : les GIPN sont désormais davantages concentrés sur les situations de crise sensibles.”

Police Pro n°2 article écrit par Olivier Merlin – article écrit en avril 2007

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admin@fipn-sdlp.fr

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