« Louis Bayon est mort à Plaisir, dans les Yvelines, aussi discrètement qu’il a vécu. Peu de gens connaissent son nom et son visage, il a pourtant fait un travail remarquable, notamment en police judiciaire.
Dans son livre RAID, des hommes discrets (Anne Carrière, 1994), Charles Pellegrini dit de lui : il est « connu dans toute la police pour son mutisme légendaire. Il s’exprime peu et seulement sur des points précis. Son caractère à l’emporte-pièce lui permet de prendre des décisions claires qu’il assume jusqu’au bout. »
Né en 1945, à Grâce-Uzel (Côte d’Armor), Louis Bayon a débuté sa carrière dans la police en 1968 comme inspecteur, avant de passer le concours de commissaire. Sauf erreur, il doit être le major de la 25e promotion de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or.
Confronté à la lutte contre le grand banditisme, il a été successivement patron du GRB (groupe de répression du banditisme) de Strasbourg, de Versailles, puis de Marseille, avant d’être nommé chef de la sûreté urbaine de Rennes, où il prend en main le GIPN (groupe d’intervention de la police nationale).
Il était alors l’un des rares commissaires à posséder une expérience de la lutte contre la criminalité organisée et le saute-dessus au quotidien.
Pragmatique, Pierre Joxe le choisit pour diriger le RAID en remplacement d’Ange Mancini, le chef-fondateur de ce service d’élite. Bayon a 45 ans.
Il restera six ans à tête du RAID, ce qui est un record, égalé seulement par Amaury de Hautecloque (2007/2013). Durant ce commandement, il aura à traiter de nombreuses interventions à hauts risques : mutineries dans les prisons, ETA « militaire », associations de malfaiteurs proches d’Al-Qaïda issues de la guerre de Bosnie-Herzégovine, et peu avant son départ, la neutralisation difficile du gang de Roubaix…
Mais, même s’il se n’est pas confié, l’affaire qui l’aura probablement le plus marqué est la prise d’otages à la maternelle de Neuilly.
Le 13 mai 1993, un homme prend en otages les enfants d’une classe maternelle de l’école Commandant Charcot, à Neuilly-sur-Seine. Il a le torse ceint d’une ceinture d’explosifs et menace de tout faire sauter s’il n’obtient pas une rançon de cent millions de francs. Il se fait appeler HB (Human Bomb) et il doit être pris au sérieux, car son acte est prémédité : pour renforcer sa crédibilité, antérieurement, il a fait sauter un pain de plastic dans un parking de la commune. En fait, il se nomme Éric Schmitt.
C’est un ancien militaire, dépressif, une énigme. Impossible de deviner sa détermination, mais on ne peut pas ne pas le prendre au sérieux. Bayon obtient carte blanche du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua.
Sa mission n’est pas facilitée par la pression des autorités qui l’entourent, notamment le maire de la ville Nicolas Sarkozy, le préfet Charles-Noël Hardy et le procureur de Nanterre Pierre Lyon-Caen.
Chacun, pour des raisons diverses, voulant s’inscrire au casting d’un scénario qui remplit pourtant tous les critères d’un film catastrophe. Dans la salle de classe où sont réunis les enfants, les « négociateurs » improvisés défilent devant un preneur d’otages qui les écoute, amusé, sarcastique ou lassé, mais inflexible, le doigt sur le détonateur de sa bombe.
Au moment de l’assaut, endormi, Schmitt se réveille. Il n’a pas le temps de faire un geste : trois balles dans la tête. La polémique juridique qui suivra ne prendra pas : on ne joue pas avec la vie d’enfants d’une maternelle.
Nombre de personnages à ce drame se sont par la suite manifestés, soit dans les médias, soit en écrivant un livre. Dont, 30 ans plus tard, le procureur Lyon-Caen : « J’étais rentré me reposer au moment de l’assaut. J’étais navré de sa mort. Si j’avais eu le temps, j’aurais pu l’inciter à se rendre. »
Louis Bayon, lui, n’a rien dit. Ni pendant ni après.
Après son départ du RAID, il a été chargé de diriger la 4e division de la PJ, regroupant l’Office du banditisme (OCRB), l’office du proxénétisme (OCRTEH) et la brigade centrale des vols autos.
Un poste autrefois prestigieux mais qui était devenu un peu bidon. En apprenant sa disparition, l’un de ses hommes, Claude Maltesse, qui se comptait parmi ses amis, a rapporté cette anecdote aux « Amis du 127 et de la PJ », que je retranscris avec son accord :
« Bayon s’était installé dans un petit bureau d’une quinzaine de mètres carrés qu’il partageait avec un autre commissaire, au 7e étage de l’immeuble Nanterre. Pour lui, qui avait eu une carrière intense et pleine de rebondissements, ce poste était manifestement un placard. Mais il ne s’en plaignait pas. Il était toujours d’humeur égale et prêt à aider quand on le sollicitait. »
Lorsque Roger Marion a été nommé directeur central adjoint, chargé des affaires criminelles, il a refusé de s’installer à Nanterre, préférant un bureau Place Beauvau, près du Bon Dieu.
Le grand bureau directorial de Nanterre est donc resté vacant. Bayon ne s’y est pas installé.
Ce n’est que plusieurs mois plus tard, lors d’un déplacement Paris-Nanterre, que Marion lui a enjoint d’occuper ces lieux et de s’asseoir dans le fauteuil occupé antérieurement par des Mancini, Kerboeuf, Poinas, etc.
« Lors de son pot de départ, poursuit Claude Maltesse, nous avons fait une collecte pour lui faire un cadeau. » Il a demandé une clé USB. Nous étions au début des années 2000 et peu de gens savaient ce qu’était une clé USB. « Avec tout l’argent de la collecte, nous avons acheté la clé qui avait la plus grosse capacité de stockage pour l’époque, soit 1 GB… »
Louis Bayon, a terminé sa carrière en 2003, comme adjoint au sous-directeur des affaires criminelles, avec le grade de commissaire divisionnaire. Il n’a donc pas fait une carrière retentissante, mais il a laissé son empreinte dans la Grande Maison et un souvenir prégnant à tous ceux qui l’ont côtoyé.
Aujourd’hui, le grand flic mutique s’est tu définitivement. Adieu collègue ! »
Source : Lemonde.fr – article écrit le 1er aout 2023 par G. Moreas