« Dix ans après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, deux hommes du RAID et du GIGN, deux héros de l’ombre, Marc Verillotte et « Aton », racontent les coulisses de la traque des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly.

« On a vengé le prophète Mohamed ! » Ce 7 janvier 2015, dans le XI° arrondissement de Paris, deux hommes cagoulés, vêtus de noir, brandissent leurs kalachnikovs vers le ciel et crient leur gloire d’avoir « tué Charlie Hebdo ».


L’année vient à peine de commencer et elle est déjà tragique. Très vite, à Bièvres (Essonne), au quartier général du RAID (Recherche Assistance Intervention, Dissuasion), le groupe d’élite de la police nationale, l’alerte « crise à Charlie Hebdo » retentit dans les coursives.
Les policiers s’équipent, au pas de course.
Parmi les opérateurs, Marc Verillotte, 50 ans, au groupe depuis 1998, se souvient de l’urgence, de la tension : « Pour nous, c’était clair : on allait au-devant d’évènements dangereux. »

Au même moment, à Paris, « Aton » (Philippe B. à l’état civil), 37 ans depuis 2003 au Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN), unité homologue du RAID, profitait d’une journée de repos. Son téléphone vibre. C’est l’adjoint de la force d’intervention : « Tuerie à Charlie Hebdo, t’es où ? ». « C’est la réalité qui vient mettre une grande claque dans la vie des Français, souligne-t-il. Ça nous rappelle que le monde est dangereux, surtout pour un pays comme la France. »

Le danger qui nous frappe ce jour-là, et qui a pour nom le djihad islamique, les deux hommes le connaissent bien.
Ils l’ont déjà rencontré. Pour Marc Verillotte, c’était en 2012, face à Mohammed Merah : « Il m’a tiré dessus à bout portant. Une de ses balles a percuté mon casque de plein fouet. Quand je suis tombé au sol, il a vidé tout son chargeur sur moi sans me toucher. »
« Aton », quant à lui, était déployé en Libye, chargé de la protection de l’ambassade de France.
« En une nuit, les terroristes ont mis Tripoli à feu et à sang ; ils n’ont aucune pitié. »
Ce jour-là, ni l’un ni l’autre ne sont surpris. Ils sont même « fatalement prêts ».
Les frères Kouachi, dont les portraits ont rapidement envahi les écrans, ont disparu sitôt après le massacre.
« A cet instant, on s’engage dans une course contre la montre de 72 heures », dit « Aton ».
Le GIGN est en alerte à Satory (Yvelines). Le RAID, lui « fonce » à Reims pour fouiller les appartements des proches des terroristes.
« Tout ce qu’on veut, c’est les stopper », se souvient Marc Verillotte.

Le lendemain, 8 janvier, les frères Kouachi braquent une station-service à Villers-Cotterêts (Aisne).
Les caméras de surveillance les films remplissant un sac de courses et portant un lance-roquettes.
Leur position repérée, rappelle « Aton », « mille mecs des unités d’intervention assiègent la forêt de Soissons avec l’envie d’en découdre ».

A 80 kilomètres de là, une policière municipale est abattue à Montrouge.
Le tireur : Amedy Coulibaly. Un contre-feu ? Une attaque coordonnée ? Pour l’heure, l’attention des enquêteurs reste fixée sur les Kouachi. Patrouilles dans les bois et fouilles de hameaux : « On met la pression pour les faire sortir ». Mais les Kouachi n’ont pas dit leur dernier mot.
« Le RAID inspecte une cabane de chasse et trouve des lits de camp, décrit Marc Verillotte. Tel que c’était installé, ils semblaient nous attendre, nous tendre un piège ». Mais les tueurs ont déguerpi.

Une annonce retentit soudain. « On a une localisation ! » Les deux terroristes sont retranchés dans une imprimerie à Dammartin-en-Goële (Seine et Marne) à la suite d’un accrochage avec une patrouille de gendarmerie. Pour le GIGN, la traque prend fin le 9 janvier au matin.

Place à l’affrontement. A l’intérieur du bâtiment, un otage et un employé de la PME caché sous un évier. « Au PC de crise, on observe les plans de l’imprimerie et on établit une stratégie pour entrer, raconte « Aton ». On n’arrive pas à contacter les Kouachi. Les médias nous ont devancés. Ils leur ont dit leurs revendications et vouloir mourir en martyrs ». La situation se fige.

En banlieue parisienne, Amedy Coulibaly, le tueur de Montrouge, roule en direction de la porte de Vincennes. A 13 heures, il force les portes de la supérette Hyper Cacher, assassine quatre personnes et en prend 26 autres en otages. « On pensait récupérer de ces deux jours harassants, confie Marc Verillotte. Et là, mon portable et mon bipeur rafalent en même temps : alerte générale, tous les effectifs disponibles, direction Vincennes. Là aussi, pas d’illusion : on sait que ça va être dur. » Le boulevard périphérique est bloqué. La Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI), l’unité d’intervention de la préfecture de police de Paris, encercle le magasin.


Les forces d’élite sont confrontées à un scénario inédit : deux prises d’otages au même moment. « On doit synchroniser nos assauts et montrer le même niveau de détermination que les islamistes », souligne Marc Verillotte. Responsable de la cellule effraction, il s’avance vers la porte de service du magasin avec son collègue « Tob » : « Je suis calme. Je place une armature d’explosifs sur la porte, découpe au couteau les grammes en trop. On ajoute des tampons en caoutchouc pour accentuer l’effet bélier pour l’ouverture. Chaque seconde compte et on n’a droit qu’à un seul essai ! »


A Dammartin-en-Goële, c’est l’halali. Il est 16h40, les Kouachi « sortent en mitraillant partout » rapporte « Aton », positionné en tête du blindé Sherpa. Le GIGN riposte : « Ils ont crié « Allaha akbar ! » plusieurs fois, témoigne-t-il. A la radio, on entend « Grenade ! » Chérif saisissait quelque chose dans son blouson. Je tire une cartouche sur lui. Les collègues tirent aussi ». Le feu est nourri, mais bref. Les Kouachi s’effondrent au sol, les corps criblés par les impacts. Le silence retombe.

Face à Coulibaly, prendre « tous les risques » pour les otages

A Vincennes, il faut aller très vite. Coulibaly a menacé d’exécuter les otages si les Kouachi étaient abattus. A 17h10, Marc et « Tob » tirent la ligne électrique pour déclencher les explosifs : « On parvient à ouvrir la porte. Mais une palette de marchandises bloque la BRI. Coulibaly abandonne ses otages pour venir tirer dans notre direction. » A l’entrée du magasin, le RAID profite de cette diversion pour investir la place, prendre en tenaille Coulibaly et l’abattre.
Les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 auront fait 17 morts et plus d’une trentaine de blessés.

Dix ans ont passé. Aujourd’hui retirés du service, chevaliers de la Légion d’honneur, Marc Verillotte et « Aton » parlent de ces journées spéciales, si symboliques, avec un mélange de pudeur et de pragmatisme. Héros ordinaires, ils ont, avec d’autres, « pris tous les risques ». C’était « pour la liberté d’expression ». Et pour la liberté tout courte. »

GIGN, confessions d’un OPS, de Philippe B. et Jean-Luc Riva, Nimrod, 380 pages, 21euros.
Au cœur du RAID, de Marc Verillotte et Karim Ben Ismail, Les Arènes, 384 pages, 22 euros.

Source : Valeurs Actuelles – Article écrit le 1er janvier 2025 par Maxime Coupeau

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