Les policiers de la sûreté départementale ont de nouveau investi la cité Caffort, à Toulouse. Toujours pour lutter contre le trafic de drogue. Cinq suspects ont été mis en examen, quatre incarcérés.
 

Secouée, bousculée mais jamais totalement à terre. À Caffort, petite cité enclavée de Toulouse, coincée entre le canal du Midi et les Mazades, le deal existe depuis dix ans. Dix ans que les opérations policières s’additionnent. Sans répit. Fin mars, la police avait frappé fort, raflé 85 000 € en liquide, une arme, des montres de luxe… «Nous n’en resterons pas à cette opération, avait promis le commissaire Le Solleu, le patron de la sûreté départementale. Nous allons maintenir une présence renforcée sur ce secteur pour que le trafic ne revienne pas.»

Lundi, milieu d’après-midi. La chaleur assomme Toulouse. Les hommes de la brigade anticriminalité ont déjà arrêté des clients la veille et surveillent. Dans une camionnette banalisée, les hommes de l’antenne Raid de Bordeaux patientent sous leur cagoule par 40°; les hommes de la sûreté ne sont pas loin. Au top départ, c’est la débandande. Treize suspects tombent sans douceur entre les mains des policiers. «Le trafic recommençait à être très actif, fallait frapper», affirme un homme des Stups.

Le trafic ? Caffort à 15 minutes du centre de Toulouse s’est taillé une place à part. «Le Mirail inquiète. Faut savoir où aller. Aux Izards, la série de règlements de comptes et la destruction de la barre de la rue des Chamois qui a ouvert le quartier ont cassé la dynamique, explique un enquêteur. Caffort, en revanche, c’est parfait… Au moins pour les dealers»

Une organisation quasi militaire, avec des guetteurs, des vendeurs, des surveillants pour éviter les embrouilles et les carottages… «Un responsable livre 25 pochons de coke. Quand tout est vendu, il récupère l’argent, vérifie, redonne la marchandise», décrit un policier. Impossible pour «l’équipe» de manquer un «Youl», un client. «La configuration de la cité est presque idéale», admet un policier. Et si difficile à surveiller.

L’opération menée lundi a permis au final l’arrestation de quinze personnes, la saisie de 4 700 € en liquide, 20 g de cocaïne, quelques barrettes de cannabis, trois armes. Une misère. Les policiers le savent. «Nous avions un seul chien. Ce n’est pas assez. Pour être vraiment efficace, faut péter toutes les portes en même temps. Autrement, à peine on saute sur les premiers suspects, l’organisation régait et drogue et argent disparaissent.»

100 € jour pour les petites mains
 

À Caffort comme ailleurs, les dealers se sont organisés. «Je hais les séries télévisées ou les films trop réalistes où les téléphones portables finissent vite à la poubelle», se marre un enquêteur. «Là, quand on a commencé à obtenir des renseignements sur le deal, la patience est la règle. Chaque semaine, les téléphones finissent à la poubelle. À peine on branche un numéro, il est hors-service.»

Tous les matins, le lieutenant de la nuit récupère les portables des «chouffeurs» et autres «vendeurs», souvent mineurs, payés de 100 à 150 € la «vacation». «C’est une entreprise. Ne rigolez pas», avertissent les Stups. Le patron, jamais au contact des «petits», ne propose pas encore les plateau-repas mais… «Tous les soirs, parfois même la nuit, un gars en scooter s’occupe de l’intendance. il va chercher kebab ou hamburgers, pizza et livre dans les blocs ! Faut pas que le business s’arrête. On en a même vu dormir dans les halls !»

Caffort, c’est 40 ou 50 € la dose de coke. Sur le mur d’un hall, on peut lire : «40 €, pas de remise !» De la poudre «de bonne qualité. Ils en mettent moins dans les pochons mais les clients ne manquent pas». Un business qui génère de 10 000 à 15 000 € par jour (!), surtout en fin de semaine. Vendredi cinq suspects ont été mis en examen, quatre en prison. Suffisant ? «Ça va recommencer, on le sait, prévient un policier. On reviendra.»

Du cannabis à la coke, près du marché

La cité Caffort n’est pas apparue du jour au lendemain dans le paysage de la délinquance toulousaine. «On a commencé à vraiment en entendre parler en 2008», se souvient un ancien de la brigade des Stups. En mai 2009, les spécialistes de la sûreté urbaine passent à l’action après avoir passé plusieurs semaines à photographier les allées et venues des clients, le manège des dealers.

Quand les flics «tapent» le «supermarché du shit» comme titre La Dépêche du Midi le 25 mai 2009, l’opération permet la saisie de six kilos de résine de cannabis, 15 000 € en liquide et la confiscation de deux véhicules, un Porsche Cayenne et une Volkswagen Golf payée 18 000 € en liquide.

Un mort en mars 2011

Première étape d’un combat qui, depuis, n’a jamais cessé. Régulièrement les policiers reviennent à Caffort. Le 27 mars 2011, vers 20 heures, ce n’est pas directement pour la drogue que les policiers interviennent. Au pied des immeubles gît Gérald Delbois, 20 ans. Il a pris une balle en pleine tête. Les enquêteurs de la brigade criminelle de la sûreté ont longtemps travaillé ce dossier, convaincu que cet enfant de la cité avait été abattu à cause de la drogue. En réalité, il avait un peu trop dit qu’il allait «faire» un appartement où se trouvait beaucoup d’argent liquide. «Certains voulaient lui faire peur mais ça a mal tourné…», glisse un connaisseur.

L’argent, la clef du trafic. «Faut arriver à les blanchir tous ces billets. Pas si simple», avertit un homme des Stups. Laissés dans un appartement vide, 154 000 € ont ainsi été découverts. Les policiers ont toujours été convaincus «que c’était l’argent de Caffort mais faute de preuve…» Le trésor public a gardé les billets.

Et Caffort reste actif. Après leur séjour en prison lié à l’enquête de 2009, les anciens ont repris du galon. À distance, avec de petites mains. En décembre 2013, la police pensait mettre fin au trafic. «Tout le monde nous attendait», s’agace un policier en poste à l’époque. Les dealers avaient été prévenus !» L’affaire a fait du bruit à «L’Embouchure», le commissariat central de Toulouse. Le groupe Stup a explosé. La nouvelle équipe s’est remise au travail et a repris le chemin des rues Negreneys, Caffort, Marqueste, Tunis, Belleville… Les halls sont toujours aussi actifs. Moins de cannabis, plus de cocaïne. «Ça rapporte davantage et c’est très demandé. Ils s’adaptent au marché», reconnaît un policier. En mars, certaines «têtes de pont» tombées en 2009 ont été reprises. Dans le filet de la police, 85 000 € (!) en liquide, une arme, un peu de drogue. Toujours.

La vraie clef est financièreQui dirige le deal à Caffort ? Les policiers ont leur idée, assez précise. «Entre 2009 et le printemps 2015, on retrouve les mêmes. Ils ont grandi, sont devenus plus prudents, mieux organisés», résume un officier. En 2009, ils roulaient en Porsche Cayenne, en 2015 dans une Renault Clio hors d’âge, avec des revenus sociaux et une chambre chez leurs parents. «Fantasme de policiers», s’agacent leurs avocats Mes Caroline Marty-Daudibertières ou Alexandre Martin qui, cette semaine, ont obtenu le non-renouvellement du mandat de dépôt décidé fin mars. Le parquet a immédiatement fait appel. «L’affaire de cette semaine n’est pas très bonne pour eux», estime un observateur. Parmi les suspects arrêtés cette semaine, un membre de la famille mis en examen mais laissé libre sous contrôle judiciaire.
Alors que faire ? «Taper au porte-monnaie !» estiment les policiers. «Si on réalisait de vraies investigations sur les comptes des familles au sens large, peut être que nous trouverions des éléments», estime un enquêteur. Un autre est plus dubitatif. «Lors de nos surveillances au printemps, on s’est aperçu qu’un des principaux suspects multipliait les allers-retours vers l’Espagne. Si à chaque fois vous partez avec 20 000 €, la lessiveuse marche à fond…» Et la saisie des avoirs à l’étranger est tout sauf simple.
 
Le chiffre : 15 000

euros >La recette quotidienne. En fonction des jours, la recette du deal est évaluée par les enquêteurs de la brigade des stupéfiants entre 10 000 et 15 000 € quotidiens à Caffort. De l’argent qui serait divisé en trois parts égales : les frais, l’investissement et les bénéfices, nets d’impôts bien entendu. Une simple multiplication permet d’estimer les bénéfices mensuels de la cité Caffort à environ 150 000 € !”

Source : LaDépêche.fr – article écrit le 12 juillet 2015

Author

admin@fipn-sdlp.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Content is protected !!