Pendant près d’une semaine, Le Parisien a pu suivre, à Bièvres (Essonne), des policiers qui souhaitaient intégrer l’unité d’élite de la police nationale. Le service recrute pour son antenne de Guyane, qui sera inaugurée en juillet. Parmi les 23 candidats, trois franciliens qui en rêvaient depuis l’enfance. Combien en restera-t-il à la fin ?

C’est un rêve de gosse qu’il touche à nouveau du bout des doigts. Jérôme (un prénom d’emprunt), policier de 28 ans en poste dans les Hauts-de-Seine, a déjà échoué l’an passé aux tests de sélection du RAID (Recherche Assistance Intervention Dissuasion), l’unité d’élite de la police nationale.
Des notes trop basses, il n’a pas pu aller plus loin. Cette année, il était de retour à Bièvres (Essonne) où est établi le service depuis 1985.

Jérôme reprend son souffle. Ce dimanche 5 février, la semaine vient de commencer et lui comme les 22 autres candidats de sa session a déjà les traits marqués par la première épreuve.
Tous ont dû enchainer cinq ateliers dans la salle de sport et aller au bout de leurs forces.
D’abord des pompes, des tractions, ou encore du vélo d’appartement.
Les visages sont défaits. Les organismes souffrent déjà.
L’un des stagiaires souffle : « Bienvenue à Bièvres ».

Pour ces sélections, il y avait en tout 130 candidats aux parcours divers dans la police.
Des CRS, des PJ-istes (enquêteurs en police judiciaire), des gardiens de la paix, des Baqueux, surnom donné aux fonctionnaires travaillant en BAC (Brigade Anticriminalité).
Beaucoup d’hommes et une femme, qui n’a pas dépassé les présélections.
« Il n’y a pas de barème femme, sous l’équipement face à un forcené, il n’y a pas de différence », explique un formateur.

Après cette présélection faite d’un peu de physique, de tir et d’étude de dossiers, ils n’étaient plus que 70 répartis en trois sessions, venus se sortir les tripes devant le saint des saints à Bièvres.
Sur les 24 du premier groupe, six sont allés jusqu’au jury de fin de sélection.
La deuxième session était celle de Jérôme et la troisième a débuté ce dimanche 12 février.

Certains sont candidats pour intégrer la future antenne RAID de Guyane qui sera ouverte en juillet.

Christian le capitaine qui dirigera ce service délocalisé, suit les stagiaires de très près.

Philippe Gosselin, commissaire divisionnaire adjoint au commandant du RAID, annonce la couleur en début de sélection : « Cette semaine ne va pas être éprouvante, elle va être très éprouvante. Seuls les meilleurs intégreront le service ».
Il poursuit : “Si vous êtes ici, c’est que vous êtes de bons policiers. Si vous n’êtes pas pris, ça ne veut pas dire que vous n’êtes pas bons. Ça veut dire que vous n’avez pas le profil que nous recherchons”.

A l’issue de la première épreuve, Ruddy, opérateur au RAID recadre le groupe : “Ce sont vos sélections, il n’y a pas de tour de chauffe”. Au total, ils auront une trentaine d’épreuves qui visent à les mettre dans des situations inconfortables.
Philippe, commandant divisionnaire qui a élaboré certaines épreuves explique : “Ils sont mis face à des situations de crise et on observe leurs réactions”.

Brice a travaillé le tir, “un des piliers”

Deux autres policiers d’ile de France tentent leur chance. Cédric, 37 ans en poste dans le Val d’Oise et Brice, 36 ans, qui travaille à Paris. Ce dernier, qui a été gendarme mobile s’est préparé pendant un an : “C’est là que sont les meilleurs”. Pour être à la hauteur, il a travaillé le tir. “C’est un des piliers” dit-il. Cédric est lui, très intéressé par la Guyane “où il y a une criminalité très élevée”.
Il a mis l’accent sur les sports de combat. Jérôme, enfin, a fait “du sport régulièrement et augmenté la cadence des séances de tir”.


Ces trois franciliens iront-ils jusqu’au bout ?
Le parcours est long, et les instructeurs vont leur mener la vie dure.
Tests psychotechniques, épreuves de force, endurance et réveil en pleine nuit vont être leur quotidien durant cette semaine. Et ça commence dès le dimanche soir.

Il est 22H30 quand les candidats se mettent en tenue de sport, lampes frontales sur la tête.
Plusieurs cartes avec un parcours leur sont remises. Il y a des points d’étape. A l’extérieur, une belle pleine lune éclaire le domaine de Bièvres.
Ils partent pour une “balade” de près de 20 km.
Pas de rythme particulier à tenir. Ils doivent juste rester groupés, s’entraider et répondre à des questions -donner la définition d’acronymes, résoudre des problèmes de maths-tous les 3 ou 4 km. Mais le rythme doit néanmoins être soutenu. Plus ils trainent, moins ils dorment.

La peur du vide élimine Jérôme
Tel un bouquet de lucioles dans la nuit, ils trottent, avalent des cotes -Bièvres est dans une vallée- et arrivent à la première étape. Pas de table pour écrire.
Un petit groupe se met en file indienne pour se servir des dos comme de tablettes.

D’autres font bande à part, Philippe remarque tout.
Il préfère voir des stagiaires unis qu’isolés. Ils repartent.

Brice souffre. Ça se voit. Il est près de 1h30 lorsqu’ils sont de retour au stand de tir.
Ils se coucheront plus tard. Ils doivent encore être en mesure de viser et d’atteindre des cibles.

Éprouvés et blessé, Brice jette l’éponge dès le lundi soir.
Les épreuves se succèdent, les stagiaires montrent leurs limites.


Le mardi soir, ils ne sont plus que 11 à se diriger vers l’un des exercices les plus durs à Saclay, sur le chantier du Grand Paris Express, une grue haute de 30 m est mise à disposition.
Ce test, qui permet de révéler la peur du vide chez certains à tantôt eu lieu sur le viaduc de Bures-sur-Yvette (Essonne) ou sur le toit de Paris La Défense Arena (Hauts-de-Seine).

Le premier candidat attrape la corde et grimpe. Mais la fatigue se fait sentir. Il n’arrive pas à monter plus. Il lâche. “Il au moins de trois points puisqu’il n’est pas allé jusqu’au bout mais nous a permis de voir qu’il n’avait pas peur du vide, ce qui est déjà une bonne chose note un formateur.


Au tour de Jérôme, des Hauts-de-Seine passe l’escalier, attend sur une plate-forme. Attend encore puis l’un des opérateurs lance : “Refus ! “, Jérôme n’y est pas allé. Il quittera la sélection dès le lendemain. Cédric du Val d’Oise, est lui, plus à l’aise. Il est le premier à boucler le parcours. S’il a une expérience dans le domaine ? “A part de l’acrobranche, non”, sourit-il.

La nuit sera courte. Il est 7 heures quand commence leur journée de mercredi sous le signe du “tir de discernement”.

A bout de force, Cédric titube
Dans le stand-devenu leur de vie avec les lits picots linge qui sèche sur les amovibles- ils vont devoir jeter toutes leurs forces sur l’assaut bike”, un vélo d’appartement sur lequel il faut aussi tirer sur les bras. Ils enchainent sur des “burpees», un exercice de musculation qui sollicite les bras et les jambes, et vont s’équiper.


Arme en main, ils entrent ensuite dans une pièce reconstituée et ont cinq secondes pour analyser la situation en tirant sur les cibles “hostiles”, figurées par de vieux gangsters, sans viser les cibles qui seraient “non hostiles”.


Ruddy décrit : “C’est pour voir s’ils gardent leur lucidité malgré la fatigue”.
La première passe. Le souffle lourd, il voit bien les deux gangsters au premier plan mais ne tire pas sur celui caché dans le fond. Cédric est très entamé après le vélo et les burpees. Il titube, à bout de forces. Dans la pièce, quatre détonations. Il a touché toutes les cibles. Même le civil “non hostile”. “Il n’était pas lucide” réagit Ruddy.
Ils seront plusieurs dans ce cas. Cette bévue peut être éliminatoire. L’un des candidats aura aussi eu à gérer un accident de tir, l’arme bloquée. “Il a très bien réagi. Il a su se protéger derrière le bouclier et résoudre le problème avec sang-froid” analyse un des instructeurs.

Simulation de tuerie de masse.
Les scénarios se compliquent. Désormais, par binômes, les dix stagiaires restant doivent gérer un appel radio qui indique une tuerie de masse. A travers le domaine de Bièvres, ils avancent vers une voiture de police, gyrophare aimanté sur le toit, est arrêtée, portes et coffre ouverts. Un policier est à terre. Ils doivent le prendre en charge et réagir lorsque des otages sortent en courant poursuivis par un terroriste.


“C’est un scénario de police, note un des instructeurs. Tout ce qu’on leur demande dans cet exercice, c’est d’être des policiers de voie publique, aguerris, qui ont une certaine expérience sur le terrain. On ne les juge pas sur une technicité qu’ils n’ont pas encore acquise. Pour ça, ils auront une formation. On essaie de déceler leur qualité de policier en ajoutant du stress”.


Certains binômes se ratent. L’un d’eux la bande -son diffusant les tirs, tergiversera avant d’entrer et tirera sur un otage. Christian, le chef de l’antenne de Guyane, ne comprend pas. “Ils sont sensibilisés à ce genre de situations en tant que policier de terrain. Il faut entrer dans le bâtiment rapidement. C’était beaucoup trop long”.


Ils devront encore sauter dans une piscine, affronter une lacrymogène dans un camion, ramper dans la fumée, boxer face aux opérateurs avant de faire face au jury.


Finalement, ils sont 7 à être allés jusqu’au bout… dont Cédric, le policier du Val d’Oise, malgré son épreuve de tir manquée.
“Il a su rebondir et a globalement réussi ses épreuves”, justifie un formateur.
Pour eux, l’aventure ne fait que commencer. Ils devront désormais suivre une formation de dix-huit semaines avant de pouvoir partir en intervention.”

Bièvres, de la favorite aux superflics
A Bièvres, il y a une fraise sur un rond-point, le musée de la photographie ou encore une des rares statues rendant hommage à Juliette Dodu, espionne française connue pour ses faits d’armes durant la guerre de 1870, née sur l’Ile de La Réunion et qui a vécu dans la commune.


Mais cette ville de 4700 âmes au nord de l’Essonne, en limite des Hauts-de-Seine et des Yvelines est aussi connue pour abriter l’un des plus prestigieux services de la police nationale.
Depuis 1985, le RAID est installé aux côtés de la CRS 8, une unité d’intervention spécialisée danse les violences urbaines, sur le domaine de Bel-Air dans ce parc arboré où gambadaient des daims.
“Avant que le RAID s’installe ici, c’était un parc ouvert au public, je me souviens être venu m’y promener”, se souvient Fabrice, un habitant de Bièvres.


Les candidats des sélections qui posent le pied ici sont tous impressionnés. Surtout lorsqu’ils entrent dans la salle de sport “mythique”, avec le tatami au logo du service et le ring sous les vitraux conservés.
Le château de Bel-Air a été construit au XVIIe siècle par Louis XIV pour sa favorite Louise de La Vallière.
Désormais, c’est le commandement de la CRS8 qui occupe le bâtiment.
A la fin du XIXe siècle, la propriété est donnée aux Missions étrangères de Paris pour la construction d’un séminaire et d’une chapelle.
C’est en 1890 que ces nouveaux bâtiments, en forme de u, sont construits, dominant les 37 ha du domaine.
Ici sont alors formés les prêtres missionnaires.
Le site sera occupé en 1940.
Classé en 1966, il intéresse le ministère de l’intérieur au début des années 1980.
Sa situation, proche de Paris (15km) et de la base aérienne de Vélizy-Villacoublay (Yvelines) est idéale.
La cession est actée en 1984.
C’est ainsi que les religieux ont laissé leur place aux superflics.”

Source : LeParisien – article écrit le 13 février 2023 par Nicolas Goinard et Arnaud Dumontier

Photos © Arnaud Dumontier

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