« Les tireurs d’élite du RAID font tout pour garder leur sang-froid et savoir quand … ne pas agir ! Echange exclusif avec le chef adjoint de la cellule « tir de haute précision ».

Vous ne verrez pas les tireurs d’élite du RAID. Postés de 100 à 1.500 mètres de leur cible pendant des heures, voire des jours, ces hommes de l’ombre ont pour mission d’observer, de renseigner, d’accompagner les interpellations, d’intervenir sur une menace imminente et de protéger (des convois durant des passages sensibles, certains déplacements présidentiels ou encore l’avancée de leur colonne d’assaut). Rares sont leurs tirs mortels, toujours encadrés par le principe de la légitime défense, puisque la mission de cette section de la Police Nationale est de protéger la vie des victimes ainsi que des forcenés qui seront livrés à la justice, parfois au prix de leur propre intégrité physique.

Richesse des profils et esprit d’équipe

Le parcours de Jean – démineur dans la Légion Etrangère, îlotier puis « free-lance » à la brigade des stupéfiants pour laquelle il participait à l’élaboration de « pièges destinés aux trafiquants » –  rappelle que les policiers  du RAID sont avant tout des policiers, issus d’origines diverses (BAC, PJ, CRS…). Ce métissage est vécu comme une richesse, alliant différences et cohérence.

Jean-Michel Fauvergue, directeur du RAID,  détaille l’importance de cet esprit collectif pour les tireurs d’élite :

  • ils agissent en binôme avec leur « spotter », policier qui a pour rôle de sécuriser l’arrivée du tireur sur un site, préparer la cible, apporter des corrections de tir, confirmer un renseignement sensible et remplacer le tireur si besoin
  • ils constituent une véritable extension de leur équipe avec laquelle ils font corps, comme les négociateurs. Ils sont en relation audio et visuelle, à distance mais toute aussi privilégiée avec leur colonne d’assaut qu’ils informent et protègent au fur et à mesure de leur avancée en zone d’intervention
  • ils sont également le bras armé du poste de commandement. Acceptant qu’ils ne détiennent qu’une partie des informations, ils ont développé une telle confiance en leur hiérarchie qu’ils agissent en une fraction de seconde sur ordre direct.


 
Autonomie, réflexion et abnégation

Connectés à l’équipe, les snipers sont autonomes et ont la capacité de se déplacer en zone inconnue pour se mettre en position et quitter les lieux sans se faire repérer lorsque la mission l’exige.

Alors qu’un opérateur (membre d’une colonne d’assaut) réagit face à un feu ennemi auquel il répondra, le tireur d’élite fait preuve d’une plus grande proactivité lorsqu’il décide d’appuyer ou non sur la détente. Ayant le pouvoir de mettre fin à une vie autant que la sauver, Jean souligne que « ce n’est pas anodin pour un tireur de haute précision de faire usage de son arme. Avec le grossissement de la lunette, le tireur visualise une situation comme un spectateur regarde un film qu’il peut arrêter s’il le décide ou si on lui en donne l’ordre. L’enjeu appelle une réflexion au delà d’une simple réaction. »

Ils sont à même de conjuguer patience, ténacité et abnégation pour passer plusieurs heures – jusqu’à 40 – sans bouger dans le but d’accéder à une information précieuse et ne pas se faire repérer, en zone urbaine comme dans des lieux naturels. Jean se souvient d’une planque où il a passé tellement de temps immobile qu’il était physiquement incapable de se relever seul et a dû faire appel à son équipier.

La stratégie de décision du tireur d’élite
Jean utilise de manière naturelle et systématique une stratégie pour garder son sang froid, décider quand agir, et surtout quand ne pas agir. Les recherches sur le cerveau ont récemment découvert que le fait d’inhiber une action est très consommateur en énergie et nécessite une stratégie mentale éprouvante. Pour le Chef adjoint des Tireurs de Haute Précision, elle repose sur trois étapes :
1. S’informer avant et pendant l’action pour nourrir la décision
En se mettant en place, Jean collecte un maximum d’informations sur le déroulement de la situation auprès de la cellule négociation et de ses collègues opérateurs. Il continue ensuite de s’alimenter auprès du Poste de Commandement avec lequel il reste en liaison radio durant toute la mission. Il sait ainsi décider en toute connaissance de cause.
2. Se conditionner pour anticiper les actions possibles
L’expérience terrain démontre que sans préparation, le risque d’erreur est majeur : « Quand on est agressé, on oublie tout ce qu’on a appris et on a des gestes réflexes. Si on est préconditionné, on a au moins 60% de chance de faire les bons gestes. Sans pré conditionnement, le cerveau n’a pas de réponse toute prête et c’est à ce moment-là que l’on risque de faire un geste inapproprié » explique-t-il. En fonction des informations collectées, Jean simule intérieurement les deux ou trois circonstances qui nécessiteraient son intervention et détermine l’acte approprié. Il décide par anticipation, notamment en imaginant les déclencheurs visuels qui le mettraient en action. « Dans telle situation je dois faire cela, dans telle situation, je dois faire autre chose. Sinon, pour le reste, quoi qu’il arrive, je ne bouge pas », se dit-il en renforçant cet ordre mental d’ « inaction » par la prise en compte des conséquences sur les personnes impliquées (« si je fais cela, alors voici l’impact sur les otages, mes collègues, le forcené »).
3. Agir en se connectant à ses sens
En situation, un triple déclencheur se met en place : Jean voit une situation pré-identifiée comme critique, il se connecte à ses sensations corporelles (sentiment de sécurité ou « poils qui se hérissent ») puis il se demande « Suis-je en danger ? Les autres personnes le sont-elles ? » au vu des informations audio qu’il reçoit en temps réel. Si tous les signaux sont au vert, il agit. Si ce n’est pas le cas, à moins qu’il ne reçoive un ordre, il reste en mode renseignement et n’intervient pas !
 

Retenir son intervention pour protéger la vie  

En intervention, la variable cruciale n’est pas la décision, mais bien le moment d’agir ou plus précisément le retard stratégique, voire le choix de ne pas agir.

Dans le cadre d’une prise d’otage en milieu pénitentiaire, un des détenus s’est avancé dans un long couloir en tenant devant lui un gardien lorsqu’il a vu Jean à une quarantaine de mètres. Il a ouvert le feu dans sa direction avec une kalachnikov, les balles sifflant au dessus de sa tête, pendant que Jean conservait l’assaillant dans sa lunette et le doigt sur la queue de détente. Ayant été braqué à plusieurs reprises par le passé, il sait que voir le « trou du canon » est un déclencheur visuel indiquant que le tir est destiné à le tuer. Mais cette fois-ci, ce n’était pas le cas. Jean n’a pas eu non plus la sensation que sa vie était visée, voire même en danger, interprétant le geste comme un avertissement « maîtrisé ». De plus, il avait déjà estimé que son action mettrait en danger les négociations en cours et la vie des otages. Il n’a alors ni bougé, ni agi. « En une fraction de secondes et parce que j’ai été informé au préalable et pré-conditionné, j’ai pris une décision naturelle de ne pas répondre en rattrapant le jeu de la bossette »  (ndlr : ce qui signifie relâcher légèrement la pression de son doigt). « Je n’ai pas appuyé jusqu’au bout, car ce n’était pas le moment ».

La volonté d’éviter au maximum les pertes humaines guide le moment de presser la détente ou d’informer la colonne d’assaut que c’est le moment d’intervenir. Par défaut, le cerveau catégorise toutes les informations de manière subconsciente. Dans le cadre d’une prise d’otage familiale, un des tireurs d’élite de l’équipe de Jean a rendu utile ce traitement cognitif en le verbalisant : ayant porté dans sa préparation mentale un jugement conscientisé des personnes qu’il avait en joue (Est-ce un père, un frère, un mari ? Quels sont ses proches présents ? Est-ce que c’est une situation exceptionnelle ou récurrente ? Quels sont ses antécédents ? ), il a pu estimer le moment opportun pour intervenir : « Il a attendu, bien que le père soit saoul, violent et menace son enfant avec un couteau posé sur sa gorge. Il a observé le tremblement de la main et s’est rendu compte que la partie coupante n’était pas en contact avec la peau. Se remémorant les conséquences d’un tir de sa part, il a décidé d’attendre seconde après seconde, prêt à agir le cas échéant. Il a bien fait de ne rien faire car tout est rentré dans l’ordre ».

Au delà de leur capacité à atteindre avec précision leurs cibles, les tireurs d’élite du RAID ont acquis un degré de contrôle émotionnel et un sang-froid stratégique qui leur permettent de peser chaque geste et de faire face efficacement à des choix vitaux. Décider de ne pas agir est parfois la meilleure des actions. »

*Un travail de montage audio et vidéo a été réalisé avec le RAID pour exclure toute donnée nominative ainsi que plusieurs passages tactiques dont le contenu est trop sensible pour être diffusé au grand public. Cette interview a été réalisée dans les locaux du RAID en septembre et octobre 2015. 

Source : Challenges.fr – article écrit le 12 décembre 2015 par Grégory Le Roy

Photo de couverture : Jean-Marc Tanguy

 

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