Le groupe d’intervention du RAID fête en octobre ses 30 ans. L’occasion de revenir sur les méthodes et la manière de se préparer de ce groupe d’élite de la police nationale.

Les équipes du  RAID (Recherches Assistances Interventions Dissuasion) ont démontré une grande efficacité en situation de prise d’otages, au Palais de justice de Nantes peu après sa création en 1985, à la maternelle de Neuilly en 1993,  ou dans les 14 missions résolues sans coup de feu en 2014. Cette année, 30 ans après leur première mission et après plusieurs événements les mettant à rude épreuve, ils ont sauvé 26 vies dans “la plus grosse prise d’otages qu’un pays développé ait eu au 21e siècle” au sein du magasin Hyper Cacher  de la porte de Vincennes.

Nourri par cette tension créatrice entre son tempérament de combattant et la responsabilité collective de chef d’une unité d’élite, Jean-Michel Fauvergue prend la tête du RAID en mai 2013 après une expérience transverse (Préfecture de Police de Paris, Police Judiciaire, Sécurité Publique, Direction de la Coopération Internationale, Police aux Frontières) et internationale (Nouvelle Calédonie, Guyane, Mali et Gabon) à un moment de transition. En effet, l’évolution récente des menaces terroristes n’a pas toujours été pleinement anticipée, voire a même surpris tant les forces d’intervention de l’époque que les décideurs politiques.

Avec son état-major, il mène plusieurs actions clés :

  • il finalise la réorganisation qui intègre les antennes locales GIPN (Groupe d’Intervention de la Police Nationale) au RAID pour mailler le territoire – leur plus grande peur étant de “ne pas arriver à temps”
  • il renforce les liens avec l’ensemble de la Police Nationale – dont le RAID fait partie intégrante – et le GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale) pour améliorer l’efficacité sur le terrain et la communication avec la sphère politique. Le RAID est devenu une unité à disposition de toutes les directions actives de la police, voire de la gendarmerie.
  • il repense en profondeur les différentes techniques d’intervention entre la négociation, le tir de haute précision et l’action directe.

Comme tout dirigeant, Jean-Michel Fauvergue s’adapte à son organisation autant qu’il la façonne avec les différentes facettes de sa personnalité. Rentrons dans la tête d’un homme de réflexion, de collaboration et d’action.

Préparer les décideurs

Les missions menées dans l’urgence n’ont de chances de réussir qu’avec un entraînement préalable à la hauteur des événements. C’est une intense et intelligente préparation qui permet aux situations inextricables de se dénouer et aux dilemmes insurmontables de ne jamais se poser. Il ne s’agit pas seulement d’une préparation mentale ou physique, mais bien relationnelle avec l’écosystème qui interagit avec le RAID.

Très tôt, notamment pour ne pas se voir imposer des missions impossibles, Jean-Michel Fauvergue comprend l’importance d’expliquer aux décideurs politiques les réalités du terrain, leur proposer des règles de collaboration, les convaincre du bien-fondé des procédures à suivre et notamment l’organisation bicéphale sur le terrain avec d’un côté le PC Opérationnel et de l’autre un PC Autorité. Le relationnel, un langage commun, des repères et des habitudes qui se rodent par des échanges fréquents permettent d’aligner décisions politiques et compétences techniques aux moments décisifs. Un rôle fondamental en qualité de directeur est de faire en sorte que chacun soit en capacité de remplir sa fonction, agir pour les uns et décider pour les autres, tout en faisant le lien entre les deux. C’est ce temps long de préparation qui permet des interventions brèves et efficaces.

Apprendre, une nécessité et un plaisir

La réflexion sur son parcours -de l’officier de police intervenant en cité, en passant par chef de la police dans les DOM-TOM jusqu’à son poste actuel – souligne un état d’esprit tourné vers l’apprentissage: apprendre sur le terrain ce que l’école de police ne peut enseigner ; apprendre d’erreurs qui ont blessé ses hommes et aurait pu coûter des vies ; apprendre à être au service, voire à s’effacer, lorsque d’autres forces de police ou de gendarmerie ont les choses en main ; chaque jour se remettre en question face à des situations aussi vitales qu’inconnues.

Quand c’est impossible seul, utiliser la force du “nous”

Dans un monde souvent individualiste, il faut un temps d’adaptation pour comprendre le mode de fonctionnement optimal du RAID: la conviction de Jean-Michel Fauvergue est que “seuls, ils ne sont rien” ; c’est en effet avec l’ensemble des composantes de la police nationale qu’ils réalisent ce que nous autres spectateurs pensons impossible. Son expérience transverse a sûrement joué un rôle clé dans sa réussite : c’est seul qu’il a perdu son prisonnier face à six assaillants dans une cité ; c’est avec la gendarmerie qu’il a sauvé ses hommes d’une fusillade en Guyane ; c’est avec le GIGN qu’il a convaincu les décideurs politiques de procédures pertinentes à suivre ; c’est avec la BRI (Brigade de Recherche et d’Intervention) qu’il est intervenu début 2015 pour sauver vingt-six otages des mains d’un forcené qui en avait déjà abattu quatre. Bien entouré, on réussit ce qu’un individu seul sait être impossible. Réussir ensemble est à la fois une nécessité, une fierté et un plaisir.

Risquer utilement sa carrière

On juge un dirigeant à ses actes plus qu’à ses mots, surtout face à des missions vitales. Jean-Michel Fauvergue confie qu’il lui est arrivé de “désobéir” intelligemment il y a quelques années pour protéger ses hommes en réussissant différemment la mission qu’on lui avait donnée.

Penser efficacement, c’est penser au bon endroit et au bon moment … ou pas du tout

Un dirigeant ayant entre ses mains la vie de dizaines d’otages et d’une centaine d’hommes réfléchit différemment :

  • il pense avant pour agir pendant, s’appuyant sur la structure bicéphale des postes de commandement du RAID qui répartit de manière fonctionnelle les responsabilités d’action et de décision, et sa position unique de “go between”. Il a conscience des limites bien réelles de ce mode de fonctionnement dans l’urgence et travaille en amont avec ses équipes pour identifier les scénarios possibles et les configurations optimales de ses forces d’intervention. La zone d’inconnu est réduite mais toujours présente.
  • il s’interdit de penser sans avoir tous les faits en sa possession. Ce qui ne se fait pas sans déployer d’importants efforts.
  • il écarte les questions philosophiques comme par exemple le choix impossible entre un otage et un de ses hommes. Il se nourrit de la seule source d’information fiable, à savoir le contact direct avec le terrain. Quand elles sont confrontées à la réalité, les questions impossibles disparaissent, et les pertinentes se posent alors naturellement, même si les réponses ne sont pas toujours évidentes.


Article et interview réalisés pour Challenges par Gregory Le Roy, consultant en Stratégies d’Excellence & Best Internal Practices.

 

Sources :

Cette interview a été réalisée avec Jean-Michel Fauvergue dans les locaux du RAID en juillet 2015. Un grand merci aux départements communication de la Police Nationale qui facilitent grandement la réalisation de mes missions. L’interview intégrale de Jean-Michel Fauverge est disponible chez HEC Alumni.

Author

admin@fipn-sdlp.fr

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