« Pour pénétrer dans l’enceinte de l’ambassade de France de Kaboul, il faut passer deux immenses portails métalliques coulissants. Dans la cour, des sacs de sable protègent deux postes de tir. Bienvenue chez David Martinon qui, après les ors de l’Élysée, cohabite avec une vingtaine d’hommes en armes.
Comment vit-on quand on est ambassadeur de France en Afghanistan, dans cette période particulièrement compliquée de l’histoire du pays ?
David Martinon : On vit sous une contrainte de sécurité qui est exactement proportionnée au fait que l’Afghanistan est le pays au monde où le terrorisme fait le plus de morts et le pays également où la guerre fait le plus de victimes, puisqu’elle compte pour un tiers des pertes mondiales dues à des conflits. C’est l’équivalent des pertes de la guerre au Yémen plus les pertes de la guerre en Syrie. Donc on vit avec un dispositif de sécurité qui est extrêmement lourd.
S’il faut annuler des déplacements parce qu’une bombe vient d’éclater dans le quartier [où l’on devait se rendre], on le fait sans discuter. S’il faut se préparer à évacuer sa chambre parce qu’il y a une alerte due à des bombardements ou à une attaque complexe à proximité, on le fait aussi.
Comment vous entraînez-vous ?
On essaie de parer à tous les risques encourus et déjà observés. Donc il faut se préparer à sortir d’un bâtiment officiel s’il est attaqué. Il faut se préparer à sortir de son véhicule s’il est sous le feu ennemi, sous l’effet d’une explosion ou si une mine magnétique lui est accolée. On s’entraîne surtout à se mettre très très rapidement en confinement de sécurité.
Avez-vous déjà été confronté à une situation compliquée, à une situation où vous vous êtes senti en insécurité ?
L’insécurité, il faut l’accepter avant de venir ici, et il faut l’accepter tout au long de son séjour. Les ambassades de France ont été frappées très lourdement. Il y a peu de temps – il y a exactement deux ans –, un attentat a été perpétré à peu près à 150 mètres d’ici. Un camion-citerne, gavés de 2 à 4 tonnes d’explosifs militaires, qui n’a laissé aucune chance à la population qui se trouvait autour. L’ambassade a été fortement impactée. Quelques années avant, c’est l’Institut culturel français d’Afghanistan qui était frappé par un kamikaze. L’attaque a fait plusieurs morts également, et qui aurait pu en faire beaucoup plus.
Il n’y a pas de semaine sans que nous nous ayons à y faire face, donc il n’y a pas une semaine sans que nous devions nous lever en pleine nuit – ou en plein jour, peu importe – et nous précipiter dans la « safe room », une chambre forte où l’équipe de sécurité peut tenir le siège pendant quelques heures, voire quelques jours.
Vous avez à vos côtés – on les voit, d’ailleurs, ils ne sont pas loin – des hommes du RAID…
Oui, j’ai une escorte de xxx policiers du RAID, en plus des 17 hommes du détachement de sécurité de l’ambassade, qui sont en permanence avec moi. Nous vivons même en colocation dans la même maison, sur le même palier. Et nous nous entraînons ensemble, parce que c’est nécessaire.
Cela ne vous empêche pourtant pas de faire des déplacements. Il vous arrive même de vous rendre dans des provinces reculées d’Afghanistan…
Oui, parce que j’ai le Raid avec moi, je considère que je peux prendre un peu plus de risques que les autres et je me déplace. Je suis allé dans le Panshir [province stratégique très disputée du nord du pays, défendue en son temps par le commandant Massoud, ndlr], je suis allé à Bamiyan [connue notamment pour ses vestiges archéologiques détruits par les talibans, je suis allé à Mazar-i-Sharif [4e ville d’Afghanistan, siège de massacres lors de sa prise par les talibans en 1998]… Et je projette de faire d’autres déplacements dans les semaines et les mois qui viennent. Ce que ne font pas tous mes homologues, mais je considère qu’on ne peut pas travailler efficacement si on ne connaît pas le pays. »
Source : franceinter.fr – article écrit le 10 septembre 20169 par Valérie Crova