« De Gabriel Attal à Salman Rushdie, le SDLP protège les personnalités les plus exposées. Immersion au cœur de ce corps d’élite de la police nationale.

Leur mission : anticiper, protéger, réagir. Ils assurent, 24 heures sur 24, la sécurité des grandes figures de l’Etat, des hôtes de la République et des personnalités médiatiques menacées.
Si ce service spécial ne date pas d’hier, les attentats de 2015 ont marqué un tournant.
Face aux fusils d’assaut des terroristes, l’équipement et les méthodes de ces « superflics » ont dû être adaptés en conséquence. Le profil et le nombre des VIP protégés a aussi changé : on compte de plus en plus de juges, d’avocats, de responsables religieux, ou d’intellectuels. Une couverture tous azimuts pour une menace omniprésente.

Derrière les stores fatigués d’un petit bureau, au sous-sol du ministère de l’Intérieur, une date et un nom sont cerclés de rouge sur un tableau blanc : « Juin. Biden ». Autour de la table voisine, trois hommes évoquent leur prochaine mission, armes de poing à la ceinture. « Et Zelensky ? » demande l’un d’eux, en jean et baskets. « Pas sûr qu’il vienne », réplique un autre, en costume-cravate.

La visite du président ukrainien pour les 80 ans du Débarquement sera rendue publique une semaine plus tard, mais le Service De La République (SDLP), la crème des gardes du corps de la République, est déjà dans le secret. Ces policiers sont les ombres des chefs d’Etat et de gouvernement de passage en France. Des agents très spéciaux qui veillent aussi sur les ministres, les anciens présidents et Premiers ministres français, sans oublier les personnalités menacées : avocats, responsables religieux, écrivains…

Progression entre des abris de fortune selon une trajectoire marquée par des plots de couleur. La cible est désignée à l’officier pendant la course.

Quelques jours plus tard, une poignée d’entre eux se rend à 300 kilomètres de Paris. Crachin continu et température d’automne, il fait un temps à ne pas mettre un Normand dehors ce 28 mai à Omaha Beach.

Au milieu des touristes américains et des ouvriers qui manœuvrent pour installer les tribunes, un attroupement se forme.
Capuche bleue sur la tête, une femme distribue des plans à tour de bras. Ça parle anglais, français, franglais…


L’Elysée cale l’énorme cérémonie internationale prévue ici le 6 juin, avec le « Secret Service », affecté à la sécurité du président des Etats-Unis et de la première dame.
Écusson bleu-blanc-rouge sur l’uniforme, des « cortégistes », une des entités du SDLP, sont aussi là pour chorégraphier le ballet des délégations et des convois internationaux.

Dans cet univers millimétré, une erreur peut finir en incident diplomatique.
« Ces rencontres nous permettent aussi d’avoir des éléments de programme afin de déterminer le dispositif pour la venue de Joe Biden, détaille la commissaire Marine Bénichou, chef de mission au SDLP. Prend-il l’hélicoptère ? Si oui, faut-il prévoir des voitures à son arrivée ? Puis-je le suivre dans l’hélico ? Combien d’officiers américains sont avec nous ? Tant que le programme n’est pas figé, on traite toutes les options, puis on ferme les portes, 90% de notre travail, c’est l’anticipation ».

Photo ©A. Barfey

Devancer ces secondes où tout bascule, voilà leur job. Il en a fallu 27 à Hadi Matar, le 12 aout 2022, à Chautauqua, dans l’Etat de New York, aux Etats-Unis, pour poignarder à quinze reprises Salman Rushdie, après avoir bondi sur la scène d’un petit amphithéâtre.


L’auteur des « Versets sataniques » était venu évoquer l’« importance de préserver la sécurité des écrivains ». Menacé depuis des décennies, il avait quitté l’Europe pour l’Amérique au début des années 2000 afin de desserrer l’étau des protections rapprochées.
Le jour de l’attaque, son agresseur a été maitrisé par le public… Rushdie a trié un livre de cet attentat, « Le Couteau », qu’il est venu présenter à Paris, entouré des officiers de sécurité (OS) du SDLP, le 3 mai dernier.
« Cette mission avait quelque chose de plus, témoigne Cécile *, qui officie depuis vingt-deux ans dans la maison. On avait tous en tête ce qui s’était passé en aout 2022 ».


Ce 3 mai donc, le public parisien est fouillé et Rushdie couvé. Quelques minutes auparavant, deux motards ont ouvert la voie au 4×4 blindé métallisé dans lequel il se trouvait. Dans l’habitacle, des fusils d’assaut, des « kevlar », ces valises anti-projectiles à déployer pour former un bouclier, et des armes automatiques de divers calibres.

Policier du GAHP (Groupe d’Appui des Hautes Personnalités) ancienne formule à l’entrainement

Coups d’œil perçants à droite, à gauche, mots glissés à l’oreillette, plusieurs officiers sortent ensuite du véhicule, encadrant l’auteur américano-britannique pour former un « triangle de protection », selon le jargon, avant de rejoindre un collègue guettant la rue devant le musée d’Orsay.

« Le dispositif varie en fonction de la menace qui pèse sur la personnalité, précise un cadre du SDLP. Elle est classée sur une échelle de T1 (la plus forte, qui n’a jamais été activée) à T4, après enquête de l’Unité de concours à la lutte antiterroriste (UCLAT). Pour Rushdie, on était à T2 ».

Quand il débarque à Paris, l’écrivain est accompagné de sa cinquième femme, Rachel Eliza Griffiths. Main dans la main, le couple se promène au jardin du Luxembourg, casquette beige et pull marine ouvert pour lui, tenue noire et baskets blanches pour elle. Des amoureux comme les autres ? Pas vraiment. Deux officiers marchent incognito quelques dizaines de mètres en retrait, en jean et sac à dos. Devant, un colosse assure la protection la plus rapprochée, c’est « l’épaule ». Il scanne littéralement chaque piéton croisé et s’intercale parfois, toujours en souplesse. « On fait ça quand on a des doutes sur la personne qui vient en face, décrypte Cécile. On se place devant, de manière naturelle. »

A deux pas, dans le 4×4 blindé, un agent veille, fusil d’assaut HK G36 dans les mains. Une arme capable de tirer des balles de guerre calibre 5,56 mm Otan, en rafale ou au coup par coup. Ils ne peuvent l’utiliser qu’en cas de légitime défense, d’absolue nécessité, « de manière proportionnée », comme l’exige la loi. Et surtout après un entrainement minutieux.

Flash-back. Le 18 mars, à 9 heures du matin, sur un stand de tir privé de la région parisienne. Venus directement du QG, une partie des « bodyguards » sont en tenue d’intervention, voitures de service chargées d’armes longues et de munitions. Equipés de casques antibruit, de gilets pare-balles et de lunettes de protection, la quinzaine de participants, dont une femme – elles sont une cinquantaine en tout – disposent aussi de leurs armes de service, des 9mm.


Séance pratique d’entrainement et de mise en situation. Ils courent, rechargent rapidement pour intégrer les techniques de manipulation des chargeurs des Glock estampillés « propriété de l’État ». Ça tire derrière des abris de fortune, sur des cibles désignées au dernier moment, au laser. Le but ? Travailler sa réactivité et sa gestion du stress en situation d’urgence. Changement d’armes.

Place aux fusils d’assaut, dont les détonations claquent plus fort dans cet environnement clos. Un agent désigne à son binôme la position des menaces théoriques à neutraliser en bout de course. La maitrise de la gestuelle est capitale. En quelques heures, les caisses de munitions se vident et les douilles jonchent le sol. Une odeur de poudre brulée flotte malgré l’extracteur de fumée.

Policier du SDLP pendant les sélections des candidats

Cécile n’a jamais été blessée en mission.
« Mais des collègues sont morts ». Elle pense à Franck Brinsolaro, officier de sécurité de Charb, tombé à 48 ans sous les rafales de kalachnikovs, dans les locaux de « Charlie Hebdo », en janvier 2015. Un tournant. « Les techniques des agresseurs ont changé, on a donc fait évoluer les nôtres, ajoute-t-elle. Depuis, les personnalités protégées sont plus nombreuses (150 par an), car il y a aussi des civils ». Cécile et son mari, également OS, étaient de repose le 7 janvier 2015.

Franck Brinsolaro, assassiné par les frères kouachi pendant l’attaque de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015

« Ça nous a touchés au cœur. Et j’ai pris conscience encore plus de la dangerosité de ce métier. Mais ça a renforcé ma détermination, le soir même je voulais travailler ».

La quinquagénaire a tout connu. De conductrice de sécurité – un des métiers du SDLP, pour piloter et s’extraire en cas d’agression – de George Bush en, à la protection rapprochée de ministres régaliens, comme Christiane Taubira, à la Justice au moment du mariage pour tous. « C’était chaud. Je me souviens d’un déplacement (on ne saura pas où, « devoir de réserve » NDLR), après le vote de la loi, où des manifestants se massaient à l’extérieur. La foule grossissait, grossissait…. On a dû faire une extraction sous les projectiles. »

Cécile s’occupe aussi aujourd’hui de la formation des jeunes recrues. Ils ont souvent autour de la trentaine, avec trois ans d’expérience requis dans la police, et intègrent le service après avoir réussi une série de tests – boxe, sauvetage en piscine, gestion du stress… – suivie d’une formation intense de six semaines. Il faut pouvoir tenir la cadence une fois en poste.

En binôme ou en groupe selon la personnalité protégée, ils alterneront ensuite une semaine travaillée (dite rouge) et une semaine de repos (verte).

« Quand c’est rouge, on n’a pas d’horaires. On commence avant que la personnalité sorte de chez elle, on récupère le véhicule, éventuellement l’armement, on finit quand elle rentre. Les journées peuvent faire dix-huit heures ». Et il faut parfois passer la nuit dans les ministères. Les OS sont payés comme les autres fonctionnaires de police, en fonction de leur grade. Avec des primes plus ou moins généreuses selon les cabinets ministériels, régaliens ou pas.

Dans le dédale de couloirs gris, rue de Miromesnil à Paris, une salle de sport leur est réservée. Pour s’entrainer, faire redescendre la pression… Cécile, elle, écrit. C’est sa façon de changer d’air. Cinq de ses livres ont déjà été publiés. « Des thrillers, avec des tueurs en série. Je suis diplômée en criminologie. » S’inspirerait-elle de son vécu ? Elle sourit : « Parc petites touches seulement. Il est indispensable de penser à autre chose. »

*Le prénom a été modifié

Interview Laurence Ferrari

Paris Match. Quelle est la mission de votre service ?

Luc Presson. Nous assurons, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, la protection de personnalités françaises mais aussi étrangères en déplacement en France. Au total, le service compte 1500 personnes, dont 650 chargés de la protection rapprochée.

Comment sont recrutés les officiers de sécurité ?

Les policiers sélectionnés par un jury ont déjà au minimum trois ans de service et subissent des tests poussés. Ils deviennent soit conducteurs de sécurité, soit officiers de sécurité. Ces agents doivent être dans l’échange, la proximité et le lien de confiance avec les personnes qu’ils protègent, mais ils doivent aussi trouver la bonne distance. Et ce n’est pas simple car ils savent tout de leurs vies, entendent leurs conversations téléphoniques lorsqu’ils sont en voiture, connaissent les personnes et les lieux qu’elles fréquentent. La discrétion est une qualité essentielle.

Bénéficient-ils d’un debrief quotidien ?

On laisse gérer l’officier de sécurité qui est au contact chaque jour. Mais il y a un suivi psychologique si besoin car les policiers risquent leur vie tous les jours. D’ailleurs on change régulièrement l’équipe pour éviter la routine, toujours en accord avec la personnalité protégée. Quand la protection s’arrête car le danger à baisser, les personnalités conservent les coordonnées d’un officier qui est leur référent. On ne les abandonne jamais. « 

Source : Paris Match n°3918 – article écrit en juin 2024 par Florent Buisson et Laurence Ferrari

Photos sauf mention © Frederic Lafargue

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