« A Saint-Denis, l’unité d’élite de la police a tiré 5 000 balles dans l’assaut mené contre Abaaoud. Au Bataclan, elle avait rangé ses armes pour des brancards.
Ce vendredi 13 novembre, pendant que la BRI, la célèbre antigang, est aux prises avec les terroristes au premier étage du Bataclan, les opérationnels du Raid organisent les secours. Ils passent au peigne fin le rez-de-chaussée, les toilettes, les vestiaires, les cuisines. Ils cherchent même un sous-terrain, dont on leur a dit qu’il avait été creusé sous la salle de spectacle, mais dont ils n’ont jamais trouvé l’entrée. Ce jour-là, les hommes du Raid avancent lentement dans les flaques de sang, enjambent les morts, marchent sur des « débris humains », parfois aveuglés par la lumière éblouissante des projecteurs de la scène. Leur vocabulaire est dur. « On a tout fait pour ne pas piétiner les corps », disent-ils.
Arrivés sur les lieux après leurs collègues de l’antigang, ils savent parfaitement qu’ils ne seront pas, cette fois-ci du moins, en première ligne des opérations. Des snipers d’appui sont toutefois disposés, en bas et à l’extérieur, prêts à « engager » à la moindre occasion, dès qu’un bout d’épaule, une jambe ou encore, mieux, une tête se présentera à eux. Cela arrivera d’ailleurs : « Tango touché, non létal », lâche un sniper dans sa radio, juste avant que l’on n’entende le bruit d’une énorme explosion. Blessé, un terroriste a fait quelques pas de côté, s’est éloigné – volontairement ? – des otages et a actionné sa ceinture. Dans ce flot ininterrompu de morts, les agents de la BRI et du Raid s’interrogent, et en viennent à chercher un peu d’humanité dans l’âme même de ceux qu’ils vont venus liquider : « Après avoir tué des dizaines de personnes, ont-ils faibli ? » s’interroge un des patrons du Raid.
Des bâtons lumineux sur le torse des morts
Depuis de longues minutes, les opérations de secours ont commencé. Avec l’aide des pompiers, des victimes, bloquées dans des pièces du premier étage, sont évacuées par les fenêtres. Au sol, les médecins du Raid, couverts par leurs camarades, ont la lourde tâche de distinguer les vivants des morts. Des cyalumes rouges – ces bâtons lumineux qu’on craque pour faire de la lumière – sont déposés sur le torse des cadavres. Ceux-là, il ne faut pas y toucher, du moins pas tout de suite. La priorité est à ceux qui respirent. Le Raid demande aux agents de la sécurité publique de se constituer par équipe de trois et d’aller ramasser les blessés, dont certains ont le corps mutilé, des membres arrachés, mais dont le pouls bat encore. Au milieu d’une mare de sang, les agents de la sécurité publique relèvent la tête et regardent, un peu éberlués, toutes ces lumières rouges, les cyalumes qui brillent sur les cadavres. Ils repensent alors à toutes ces soirées où ils ont mis ces bâtons lumineux en boîte de nuit dans le verre de leurs cocktails, trinquant à la vie avec leurs mojitos devenus bleu ciel et leurs caïpirinhas vert fluo. La fête, la mort.
Laser 4, un des patrons du Raid, se confie : « Nous, au Raid, on est des blasés, on est des durs. Mais j’ai une grosse pensée pour les gars de la sécurité publique qui ont affronté les balles sans protection ou presque et qui ont transporté les victimes sur des brancards de fortune, constitués avec des barrières de sécurité métallique tournées à l’horizontale. Un grand chapeau à eux. Le Raid leur rend hommage. »
Un « nid de victimes »
Les blessés sont ensuite amenés à l’entrée du Bataclan, au plus près de la tuerie, dans ce que le Raid appelle un « nid de victimes ». Ne vous méprenez pas, il ne s’agit que du lexique policier, il n’y a ici ni réconfort, ni drap propre, ni quoi que ce soit de douillet. Les blessés sont triés sur le volet, puis expédiés vers un point de rassemblement des victimes (PRV) où des médecins évaluent leur état de santé. Les blessés les plus graves empruntent alors la grande noria, nom donné au chemin qui sépare le poste médical avancé, improvisé avec les moyens du bord, des hôpitaux les plus proches.
Tard dans la nuit, les policiers du Raid terminent le travail, reconfigurent leurs équipes pour faire face aux menaces. Et il y en a beaucoup. Rue de la Fontaine-au-Roi, où a eu lieu un attentat à la kalachnikov, des témoins assurent avoir vu des terroristes se retrancher dans un immeuble. Les 21 appartements du bâtiment, la cour, le sous-sol sont fouillés. Rien n’est trouvé. Les témoins, qui abondaient tous dans le même sens, sont soudain moins sûrs de ce qu’ils ont vu. Mais les policiers se tiennent à l’affût, pendant des heures, en attendant que leurs services trient les fausses alertes qui surviennent un peu partout dans la capitale. Là encore, le vocabulaire du Raid est imagé : « Vous savez comment on appelle ça, toutes ces fausses alertes ? Des queues de comète. » On trouverait ça presque beau. »
Source : Le Point – article écrit le 27 novembre 2015 par Marc Leplongeon