Au lendemain de la prise d’otages dans un bar-tabac de Blagnac, Jean-Baptiste Dulion, chef du RAID, détaille les dessous de l’opération policière.
 

Une prise d’otages de près de huit heures… À l’issue de négociations lqui se sont prolongées tard dans la nuit de mardi, Yanis D., l’adolescent de 17 ans qui avait retenu en otage quatre femmes dans un bar-tabac de Blagnac (Haute-Garonne), se revendiquant d’une « milice » proche des Gilets jaunes, a été interpellé par les policiers du RAID.
Le patron de l’unité d’intervention, Jean-Baptiste Dulion, raconte au Parisien – Aujourd’hui en France les coulisses de l’opération qui n’a fait aucun blessé.
 
Vers 16 heures, mardi, vous êtes avisés d’une prise d’otages à Blagnac. Comment analysez-vous la situation ?
JEAN-BAPTISTE DULION. Au départ, on pensait qu’il s’agissait d’une tentative de braquage qui s’était mal terminée. L’antenne de Toulouse s’est projetée sur les lieux, suivie par des renforts de l’antenne de Bordeaux. Dès que l’on s’est aperçu que la situation relevait d’un cas psychologique, avec des otages et une configuration des lieux compliquée – le suspect avait fermé tous les volets métalliques, j’ai décidé de faire descendre les renforts du RAID national basés à Bièvres (Essonne), qui ont des compétences spécialisées, par un hélicoptère de l’armée d’astreinte à Villacoublay. On s’est vite rendu compte que la situation serait compliquée. La présence d’otages est pour nous le principal critère de gravité.

 
 

Comment s’établit alors le dialogue ?
La prise de contact est une priorité absolue pour déterminer le profil psychologique de l’auteur, ses motivations et ses demandes, et ainsi juger de la gravité de la situation.
À Blagnac, elle s’est établie très rapidement dès lors que nous avions sécurisé les lieux. C’est d’abord un commissaire de Toulouse qui a parlé avec le suspect par téléphone, puis notre négociateur a pris la main par porte-voix essentiellement.

 
 

Comment identifiez-vous le suspect ?
Il n’y a pas eu de difficulté car il s’est rapidement mis en scène sur les réseaux sociaux. Ses vidéos tournées à l’intérieur du bar-tabac ont été analysées en temps réel : cela nous a permis d’avoir une configuration précise des lieux.
En parallèle, avec l’aide de la police judiciaire et de la DGSI, nous avons interrogé les fichiers pour connaître ses antécédents. S’il n’avait pas de passé psychiatrique, il était connu pour avoir un profil très perturbé et instable.

 
 

Comment évaluez-vous à ce moment-là sa dangerosité ?
Contrairement à ce que j’ai entendu, le suspect a vraiment eu un comportement de dangerosité. Certes, il ne s’en est pas pris physiquement aux otages mais, avec nous, il a eu une attitude déterminée, alternant les phases d’agressivité et de calme.
Il a fallu faire preuve de beaucoup de sang-froid pour maîtriser les événements car nous nous sommes retrouvés à plusieurs reprises en situation de légitime défense.
Il était doté d’un pistolet métallique, qui avait toutes les apparences d’une arme réelle. Notre grande crainte, c’était le « Suicide by cops », avec la volonté de se faire neutraliser par le RAID.

 
 

Le contact a-t-il toujours été maintenu ?
Nous ne l’avons pas lâché. Ce type de profil – un jeune homme dangereux mais paumé – est accessible à la négociation, option que nous privilégions absolument, même si cela prend du temps. Le « process » prédéfini consiste à alterner moments de pression et de proximité, l’objectif étant de ne jamais le « perdre ». En l’occurrence, nous avons échangé sur les notions de valeurs, de comportement et, au final, la nécessité de se rendre. Cela réclame une attention constante, un soutien permanent. C’est pourquoi le négociateur n’est jamais seul.
D’autres spécialistes l’orientent, le conseillent tout au long de la crise.

 
 

Avez-vous fait appel à des membres de la famille du suspect ?
Dans une négociation classique, il s’agit effectivement d’un puissant ressort psychologique. Mais dans le cas présent, nous ne l’avons pas utilisé, car cela se serait avéré contre-productif.

 
 

Quelles étaient ses revendications ?
Elles semblaient extrêmement confuses, lui-même ayant du mal à exprimer clairement ses motivations, mis à part cette appartenance revendiquée à une « milice ». Le discours n’était pas très cohérent.

 
 

Comment avez-vous obtenu la libération des otages ?
En prenant des otages, il voulait donner plus de crédit à son action.
Mais il n’envisageait pas de les garder trop longtemps. Il n’avait par ailleurs aucune intention de les monnayer contre une quelconque faveur. Leur libération est intervenue assez rapidement.
Mais n’oublions pas la configuration inquiétante face à laquelle nous nous trouvions au départ. Les otages ont été ficelés. Deux ont été positionnés juste derrière la porte pour nous dissuader d’entrer.
L’auteur a indiqué se trouver en possession de matière explosive. Menace qui s’est révélée fictive mais que nous avons prise très au sérieux : dans ses vidéos, un grand sac noir, dont on ignorait le contenu, était visible.

 
 

Une fois les otages libérés, la situation devient plus simple…
Notre obsession est de les libérer sains et saufs. Lorsque l’auteur les libère, la gestion de la crise devient effectivement plus simple. Le preneur d’otages devient un forcené.
Pour autant, le risque existe toujours. Nous avons régulièrement affaire à des forcenés dits « combattants », très déterminés et dangereux. Deux fonctionnaires du RAID sont morts sur ce type d’intervention.

 
 

Le forcené a finalement été interpellé vers 23h45. Dans quelles conditions a-t-il été arrêté ?
Il a commencé à sortir. Malgré son comportement instable, on sentait chez lui une volonté de mettre fin à la situation. Pour autant, jusqu’au bout, il s’est montré potentiellement dangereux, conservant son arme à la ceinture et faisant mine de l’utiliser. De notre côté, nous avons parié sur le fait qu’il comptait se rendre pacifiquement.
Et l’interpellation s’est faite en douceur.”

 
Source : Le Parisien.fr – article écrit le 08 mai 2019 par Éric Pelletier et Jérémie Pham-Lê

Author

admin@fipn-sdlp.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Content is protected !!