« Pendant un an et demi, nos journalistes ont suivi ces policiers d’élite, notamment lorsqu’ils préparaient la sécurité des Jeux. Une plongée exclusive dans le quotidien de cette unité spéciale, à retrouver dans un livre à paraitre le 22 novembre. Elles retracent ici une cérémonie d’ouverture sous haute surveillance.
Vendredi 26 juillet, QG du RAID (pour Recherche Assistance Intervention Dissuasion), Bièvres (Essonne). C’est le dernier jour. Ce soir, quand les JO s’ouvriront sous le regard du monde entier, pour nous, les portes se refermeront définitivement, après une longue immersion au sein de cette unité d’intervention parmi les plus secrètes de la police nationale. Voilà dix-huit mois que nous sommes exceptionnellement autorisées à suivre partout en France, dans l’Hexagone et outre-mer, les 500 opérateurs du RAID – une unité qui ne communique quasiment jamais-, célèbre pour ses interventions.
On se souvient de la traque des frères Kouachi, des attentats de l’Hyper Cacher et du Bataclan, en 2015, de l’évacuation de l’ambassade de Kaboul en 2021, ou de la prise d’otages dans une maternelle de Neuilly (Hauts-de-Seine) en 1993.
Mais, ce soir, ils veillent sur la fête. Dans quelques heures, VIP et spectateurs s’installeront dans les tribunes réparties sur plus de 6 kilomètres, tout le long de la Seine, pour assister à cette cérémonie hors norme, la première dans l’histoire des Jeux à se dérouler en pleine ville, hors des murs sécurisés d’un stade.
A événement historique inédit, dispositif inédit. Quand fin 2022, les trois unités d’intervention spécialisées – le RAID, le GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale) et la BRI (Brigade de Recherche et d’Intervention, dépendant de la préfecture de police de Paris) – se sont penchées sur l’organisation de la sécurisation des Jeux, elles ont vite compris qu’elles devraient s’allier pour faire face aux menaces potentielles, et protéger les 330 épreuves, les 40 sites et les quelque 10 000 athlètes durant toute la compétition (sans compter les Jeux paralympiques). Pour la cérémonie d’ouverture, la BRI sera ce soir en charge des interventions terrestres, le GIGN des interventions héliportées, et le RAID sera posté sur la Seine.
Aux premières loges, les embarcations noires semi-rigides de l’unité se tiendront au plus près du défilé des péniches des délégations officielles de sportifs. Sur le fleuve et sur les quais les plus bas, ses policiers réagiront les premiers en cas d’attaque terroriste, de tentative de prise d’otages ou de « tuerie de masse ». Des scénarios qui ont tous été envisagés.
Vers 16h20, c’est parti pour huit heures de mission sur la Seine !
Réunis devant le mythique château du domaine de Bel Air, à Bièvres, où ils sont installés depuis bientôt et des deux scooters des mers sont prêts. La cérémonie ne débute qu’à 19h30 mais, dès 12h15, ils grimpent dans un autocar qui sera escorté jusqu’à la base nautique de Tolbiac.
Après une trentaine de minutes de course toutes sirènes hurlantes et gyrophares allumés à travers Paris, le convoi arrive très protocolairement dans l’enceinte de la base nautique. Malgré la réputation, les « hommes en noir » (surnom lié à la couleur de l’uniforme du RAID), dont on connait les faits d’armes, doivent montrer patte blanche, un à un, présentant leur accréditation aux militaires de la Légion étrangère qui sécurisent cette zone, d’où partiront les péniches de la parade officielle. Une fois les policiers arrivés à bon port commence une longue phase de préparation des équipements, mais surtout d’attente. Dans des préfabriqués, certains discutent ou s’allongent pour récupérer un peu de leurs derniers longs mois de mobilisations diverses : sécurisation des 80 ans du débarquement de Normandie ou de l’arrivée de la flamme à Marseille, contribution à l’opération Place nette XXL dans toute la France avant les Jeux, émeutes en Nouvelle-Calédonie…Ils prennent aussi des forces avant d’embarquer pour les huit prochaines heures de mission sur la Seine. Puis, vers 16h20, c’est le coup d’envoi. A bord de l’un des bateaux, Thierry Sabot, le chef adjoint du RAID, annonce par radio au poste de commandement nautique et à toute la flotte : « Départ pour la mise en place du dispositif ! »
Les bateaux et les scooters des mers noirs, suivis de deux embarcations de la sécurité civile, avec leurs plongeurs-démineurs, s’élancent alors sur le fleuve à faible allure.
Ils passent d’abord sous le pont de Bercy, qui enjambe la Seine au pied de la Bibliothèque nationale de France, puis sous le pont Charles-de-Gaulle.
La ville parait déserte, les plus beaux monuments défilent au-dessus de leurs têtes, dans le plus grand silence. Puis, alors que l’armada s’approche peu à peu du cœur de la capitale, on aperçoit les premiers spectateurs sur les quais hauts. Quand ceux-ci comprennent que, à leurs pieds, des opérateurs du RAID défilent sur leurs semi-rigides, des cris s’élèvent : « Merci ! », « Bravo ! » … Paris se souvient manifestement de l’engagement de ces hommes en 2015, , année noire pour le pays, marqué par les attentats en Ile-de-France. Alors, certains d’entre eux, presque intimidés, et peu habitués à tant d’honneurs, finissent par lever la main et saluer la foule en retour. Un moment inattendu et incongru puisque les stars, ce soir, sont plutôt les sportifs. Mais cette ovation aussi surprenante que spontanée se propage, du pont d’Austerlitz jusqu’au Trocadéro. Les policiers n’oublient pas qu’ils sont déjà en opération réelle. Au fil du fleuve, les bateaux s’arrêtent un à un pour prendre leur poste de veille : il y a quasiment un semi-rigide stationné sous chaque pont. Celui du commandement s’amarre face au musée de l’Orangerie, tout près de la place de la Concorde, au cœur de la ville.
A 16h43, le dispositif nautique du RAID est en place. Puis, c’est l’attente, encore.
La cérémonie débute enfin, comme prévu, à 19h30. Au passage de chacune des 170 péniches de cette immense parade sur l’eau, le public déchainé, acclame les champions.
Environ 300 000 spectateurs assistent à la cérémonie mise en scène par Thomas Jolly. Des hommes et des véhicules banalisés du RAID ont suivi les quelque 200 bus qui ont acheminé les sportifs en fin d’après-midi, les conduisant du village olympique aux différents quais d’embarquement. Ils étaient ainsi en mesure d’intervenir en tout point du trajet et du périphérique parisien.
« Tout se joue désormais sur la Seine, explique David, le chef de la section d’intervention du RAID. Notre dispositif est en place partout sur le fleuve, et nous avons embarqué sur chaque semi-rigide un tireur de haute précision ».
Des exercices d’ampleur, en conditions réelles, organisées dès mai 2023.
Heureusement, les douze tableaux du spectacle s’enchainent sans encombre. Les opérateurs, en position statique sous une pluie diluvienne pendant plus de trois heures n’en perçoivent que des brides. Ils ne sont pas là pour admirer le défilé. Tous restent étroitement connectés à leurs radios, attentifs au moindre ordre d’intervention. Les voix de Lady Gaga, Aya Nakamura ou Philippe Katerine leur parvienne à peine entre les salves d’applaudissements du public, qui ne remarque plus leur discrète présence. Les spectateurs ignorent sans doute que différents postes de commandement opérationnels sont répartis dans tout Paris.
Le principal est installé au siège de la BRI, au 36, quai des Orfèvres, au cœur de la capitale. De là, Guillaume Cardy, le chef du RAID (dit « Laser 1 ») et ses homologues du GIGN et de la BRI – entre autres autorités officielles – veillent sur la ville et se tiennent prêts à envoyer leurs hommes pour désamorcer le moindre début de crise ou d’attaque.
Depuis des mois, les trois forces s’entrainent régulièrement ensemble, et les effectifs sont prêts à faire face. Il y a d’abord eu un exercice d’ampleur organisé en conditions réelles, un an plus tôt, le 17 mai 2023, sur l’un des bateaux de la parade officielle, à grand renfort d’hélicoptères du GIGN, de Zodiac et de Jet-Skis du RAID. Puis un entrainement, le 30 mai dernier, sur le site olympique de Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), simulant une attaque terroriste parmi les spectateurs. Et encore un autre, le 3 juillet, orchestré dans l’enceinte même du village olympique avec la BRI… Des mises en situation spécifique aux JO qui s’ajoutent aux activités habituelles des opérateurs du RAID : interpellations à hauts risque, interventions lors de prises d’otages ou d’actes terroristes, neutralisations de forcenés armés, sécurisation de déplacements présidentiels….
Le spectacle est magnifique, mais les policiers ne baissent pas la garde.
C’est maintenant au tour de l’immense paquebot blanc de la délégation française de défiler. Après le passage des Bleus, les embarcations du RAID rejoignent le bas du Trocadéro, et se mettent en position pour sécuriser le pied de la tour Eiffel, qui devient alors la zone la plus sensible de la France. Face à la Dame de Fer, de l’autre coté de la Seine, les tribunes réunissant les sportifs et les officiels sont bondées. Le président de la République, ainsi que les chefs d’Etat étrangers et les membres du Comité international olympique guettent l’arrivée du drapeau aux cinq anneaux. Puis des dizaines de sportifs se passent le relais de la flamme et remontent le fleuve en direction du Louvre, à pied ou sur l’eau. De Zinédine Zidane à Rafael Nadal, de Serena Williams à Teddy et Marie-José Pérec : au cœur du jardin des Tuileries, ces deux derniers embrasent finalement l’immense vasque dorée, qui s’élève alors dans le ciel parisien. Le spectacle est magnifique, mais les opérateurs du RAID ne baissent pas la garde. Ils continuent de scruter la Seine, de surveiller ces flots de VIP et d’écouter les informations distillées dans leurs casques radio. Au-dessus d’eux, depuis plusieurs minutes, la tour Eiffel s’est animée dans un son et lumière flamboyant, et la voix puissante de Céline Dion surgit dans la nuit. Un moment unique, qui restera gravé dans la mémoire du public comme, sans doute, dans celle des hommes en noir.
Heureusement, leurs souvenirs et leur quotidien ne sont pas peuplés uniquement d’images de tueries de masse ou de faits divers atroces. Ces policiers d’élite sont là aussi les jours de fête et de communication nationale. Aucun incident majeur à déclarer ce soir-là. Les Jeux démarrent sous les meilleurs auspices. »
« 18 mois avec le RAID », de Sophie Stadler, photos de Sophie Rodriguez, Editions de La Martinière, 256 p., 29,90 euros. En librairie le 22 novembre.
Source : Leparisien.fr – article de Sophie Stadler écrit le 15 novembre 2024
Photos sauf mention @ Sophie Rodriguez