« La France dispose de quelques-unes des meilleures unités contre-terroristes du monde. En imaginant le pire, elles n’ont cessé de s’adapter à l’évolution de la menace. Ces années de “durcissement” viennent de payer.
« Assaut ! Assaut à Dammartin ! » Vendredi 9 janvier, 16h53. Les frères Kouachi viennent de tenter une sortie en force de l’usine de Dammartin-en-Goële. Ils montent à l’assaut des gendarmes en vidant leurs chargeurs de kalachnikov. La riposte est instantanée. Elle dure moins d’une minute. Les deux terroristes sont stoppés net, foudroyés par les tireurs d’élite du GIGN.
À 50 kilomètres de là, une autre opération est déclenchée simultanément : la neutralisation par le Raid d’Amedy Coulibaly, retranché dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. S’il apprend la mort de ses deux complices, il peut se venger sur ses otages. Il en a déjà tué quatre. Sa tentative de sortie en mitraillant les policiers du Raid en dit long sur sa détermination meurtrière.
Les clés du succès du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale), du Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion, de la Police nationale) et de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention, de la police judiciaire), ce vendredi 9 janvier, sont là : excellence des commandos engagés, vitesse d’exécution, détermination totale dans l’action, efficacité des procédures et des armes, et surtout coordination totale. Cette réussite ne doit rien à l’improvisation, malgré la simultanéité et la brutalité des attaques. Elle s’explique par l’énorme travail d’adaptation de ces forces contre-terroristes et par leur coopération, malgré la rivalité traditionnelle entre elles.
Sept années d’adaptation ont permis ce succès salué dans le monde entier.
La France dispose au GIGN et au Raid de professionnels de très haut niveau, à tous les échelons, avec des chefs qui n’ont rien perdu de la forme et du courage de leurs premières années. Au premier rang d’entre eux, le général Denis Favier, 55 ans, l’homme clé de cette semaine tragique. Patron de la gendarmerie, ce grand sportif est resté le chef incontesté des gendarmes d’élite qu’il fut, vingt ans plus tôt, lors de la prise en otage de l’Airbus d’Air France par des islamistes algériens. L’assaut sur l’aéroport de Marignane, le 26 décembre 1994, est encore dans les mémoires.
C’est à Favier que Manuels Valls a fait aussitôt appel pour préparer la riposte. Il connaît bien ce général pour l’avoir eu comme conseiller gendarmerie lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. C’est lui qui l’a nommé ensuite (avril 2013) à la tête de la gendarmerie. Le 9 janvier, à 8 h 30 du matin, Favier est à l’Élysée pour un briefing décisif avec Valls, Cazeneuve, Taubira et Falcone, patron de la Police nationale.
Autour de la table, Favier est le seul en uniforme, brevet para, Légion d’honneur et citations sur sa barrette de décorations. François Hollande l’a placé à sa droite. Il écoute son plan. Favier a commandé deux fois le GIGN, de 1992 à 1997, puis de 2007 à 2011. Il sait de quoi il parle. Il va coordonner les opérations et « donner le bon rythme à la manoeuvre », avec Jean-Marc Falcone.
La veille, le général a obtenu que le GIGN reprenne la responsabilité de la traque des frères Kouachi qui ne sont plus en “zone police”, alors que cette dernière les poursuivait depuis Paris et se préparait à l’opération finale. Certains policiers réclamaient un “droit de suite”. « Sans Favier, le GIGN restait à la caserne », estiment certains policiers. « Les terroristes vont se retrouver en “zone gendarmerie” et on sait faire », a plaidé le général.
Il sait qu’il peut compter sur “son” GIGN, l’une des meilleures forces contre-terroristes au monde, comme le Raid. Le patron en titre depuis septembre 2014, Hubert Bonneau, 48 ans, a commandé l’escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale, l’une des matrices du GIGN. Il connaît la somme d’expériences au “GI”. Denis Favier a surtout été l’artisan de la refonte du GIGN en 2007, avec un maître d’oeuvre imaginatif, le colonel Frédéric Gallois, aujourd’hui dans le civil. Les deux saint-cyriens ont fait de l’ancien groupe spécialisé dans la maîtrise des forcenés ou des délinquants dangereux une arme fatale, « le dernier recours quand les moyens habituels de l’État sont dépassés », explique Bonneau.
« Le terrorisme et les prises d’otages de masse aux États-Unis, en Russie, en Inde, au Royaume-Uni et en Espagne nous ont fait beaucoup réfléchir », témoigne Gallois. Ces actions meurtrières marquent l’apparition d’un terrorisme nouveau, avec des équipements et des modes d’action militaires, et des terroristes qui n’hésitent plus à aller à la confrontation directe.
Cette militarisation du terrorisme a conduit à renforcer le GIGN. L’entraînement a été poussé à l’extrême. Gallois parle d’un « durcissement de la militarité » autour des valeurs de combat, de courage et d’esprit d’équipe, « pour aller plus loin dans la mission ». C’est l’époque où une quarantaine de gars du GIGN vont s’aguerrir en Afghanistan. « On voulait se frotter aux djihadistes, témoigne l’un d’eux. On savait qu’on allait devoir un jour les affronter chez nous. » Quelques anciens d’Afghanistan ont fait partie du groupe d’assaut de Dammartin.
Le GIGN comme le Raid avaient aussi anticipé la possibilité de plusieurs attaques terroristes simultanées sur le territoire. C’est ce qui s’est produit. Opportunément dégagé du secteur de Dammartin, le Raid était disponible, en première ligne, porte de Vincennes, pour l’opération la plus sensible, avec la BRI. Deux outils bien rodés. Créé en 1985 par deux policiers légendaires, Ange Mancini et Robert Broussard, le Raid a lui aussi beaucoup évolué depuis les premiers groupes d’intervention de la Police nationale en 1972, année de la tuerie aux jeux Olympiques de Munich.
Les fondateurs du Raid voulaient disposer d’une unité ultra-spécialisée et multimission : prise d’otage, arrestation de forcené ou de malfaiteur dangereux, action antiterroriste, filature difficile. Capable d’opérer à tout moment dans 21 départements autour de Paris, mais également sur l’ensemble du territoire, le Raid est sollicité une centaine de fois par an. Trois de ses fonctionnaires sont morts en service commandé, fidèles à leur devise, “Servir, sans faillir”.
Rejoindre le Raid, comme le GIGN, c’est accepter une disponibilité totale, entretenir une excellente condition morale et physique, savoir gérer son stress. « On entre chez nous comme on rentre dans les ordres, témoigne un tireur d’élite de la police. Au début, on réfléchit au sens qu’on veut donner à sa vie, ensuite on ressent au plus profond de soi le désir d’être utile et d’agir dans des situations extrêmes. On vit sa vocation au quotidien, avec des exigences hors norme, des succès, parfois des échecs. »
L’outil s’est forgé à travers de célèbres faits d’armes : l’arrestation d’Action directe (1987), la libération des enfants pris en otages par “Human Bomb” à Neuilly-sur-Seine (1993), l’arrestation d’Yvan Colonna (2003). La neutralisation de Mohamed Merah (Toulouse, 2012) a marqué les esprits. Ces trente-deux heures de siège et de négociations, jusqu’à l’assaut final, auront révélé la détermination des nouveaux terroristes, la compétence du Raid et le charisme du patron de l’époque, Amaury de Hauteclocque. « C’est la première fois que je voyais un adversaire s’élancer contre nous alors que nous montions à l’assaut, se souvient-il. Merah avait une détermination sans faille. »
Les “hommes en noir” basés à Bièvres (Essonne) sont, depuis 2013, sous le commandement de Jean-Michel Fauvergue, lui-même placé sous l’autorité de Jean-Marc Falcone, ancien commissaire réputé devenu directeur général de la Police. Passionné d’arts martiaux, Fauvergue connaît bien le métier pour avoir assuré la coordination des GIPN (groupes d’intervention de la Police nationale) régionaux. Il est aussi patron de la Force d’intervention de la Police nationale (FIPN), créée en 2009 pour coordonner tous les groupes d’intervention spécialisés de la Police (450 hommes venus du Raid, des GIPN et de la BRI de Paris : infographie ci-dessus). Elle est intervenue pour la première fois à la porte de Vincennes, le 9 janvier.
Depuis dix ans, le GIGN et le Raid ont décortiqué toutes les actions terroristes et les ripostes des services étrangers. Ils ont cherché à imaginer tous les scénarios possibles, y compris les pires : prise d’otages de masse, attaque multiple, terrorisme naval et aérien, chimique, nucléaire ou bactériologique. Ils restent modestes : « Le terrorisme est en mutation permanente, il a toujours un temps d’avance. »
La bascule de la gendarmerie du ministère de la Défense à l’Intérieur, en 2010, à la demande de Nicolas Sarkozy, a facilité cette collaboration. C’est l’époque où un sénateur centriste s’interrogeait « sur la nécessité de conserver deux forces d’intervention distinctes mais aux missions quasi identiques »… Placée sous la responsabilité d’un général de gendarmerie secondé par un commissaire de police, l’Ucofi (Unité de coordination des forces d’intervention) a alors vu le jour pour « faciliter la coordination et les coopérations ».
L’Ucofi est devenue une passerelle d’échanges de connaissances. Le partage des savoirs, des méthodes de négociation, des modes d’action et des procédures radio est une réalité. On ne perd plus de temps lors de la préparation d’un assaut. Le plus gros du travail a été fait en amont à travers des exercices communs “joués” au Stade de France (prise d’otages de masse), à Disneyland Paris (attentats), à Beynes (attaque chimique) ou dans plusieurs centrales nucléaires (intrusion simultanée de militants altermondialistes).
Le timing parfait de la double opération du 9 janvier montre les progrès réalisés et l’importance des officiers de liaison : deux policiers du Raid étaient à Dammartin et deux gendarmes assuraient la coordination porte de Vincennes. « L’idée est de maintenir cette approche capacitaire et pas corporatiste, précise un gendarme. En temps de crise, il faut s’affranchir des susceptibilités autour des zones police ou gendarmerie. »
Source : Valeursactuelles.fr – article écrit le 23 janvier 2015 par Frédéric Pons et Louis De Raguenel