« Plongée dans la vie quotidienne des policiers d’élite. Une épreuve physique mais aussi mentale.
» T’es un bonhomme ! Allez ! Avance ! Montre que c’est toi le patron ! » Les encouragements ont beau pleuvoir, la musique de Rocky 3 a beau monter de plusieurs décibels, rien n’y fait.
Je ne me sens pas le patron du tout. J’ai des gants de boxe. Et en face de moi, un superflic du RAID de Nancy. J’ai l’autorisation de lui taper dessus. Lui me décoche quelques petits gnons gentils. Moi je peux cogner. Mais je n’ai plus de bras, plus de jambes, plus de souffle. J’ai 250 ans et je me demande comment j’ai pu me fourrer dans une galère pareille. Un peu plus tôt dans la matinée, avant la séance de boxe, j’ai eu droit à du grappling, un mélange de lutte et de judo. J’ai eu l’impression de me battre avec d’implacables cubes de béton.
Eh oui, un reportage au sein du RAID est forcément une épreuve physique.
Ce qui frappe d’emblée en entrant dans la salle de sport du QG de l’unité d’élite, à Champigneulles, c’est la carrure des types. Tous sont costauds, affûtés, en pleine forme.
De quoi donner des complexes au Stallone de la grande époque. Des carrures impressionnantes mais pas forcément essentielles. Il faut souvent se méfier des apparences. Si ces ex-CRS ou ancien flics de BAC ont pu intégrer le RAID, ce n’est pas uniquement pour leurs aptitudes physiques. « C’est l’attitude qui compte. On recherche la combativité, des gens prêts à faire face, prêt à mourir debout », commente « Chris », le patron de l’antenne de Nancy.
Pas tous les jours qu’un journaliste peut se mesurer à un homme du RAID ! Et c’est une rude épreuve…
Spécialiste de » l’effrac «
« On n’est pas dans un truc de bourrin, c’est avant tout de la technique et de la tactique », complète « Shak ». Qui parle aussi bien de la boxe, dont il est moniteur, que de sa spécialité au sein de l’unité d’intervention. Il est chargé de « l’effrac ». Traduction : effraction. Aucune porte ne peut lui résister. Ses armes vont du bélier rudimentaire au « Door-raider », un puissant vérin hydraulique doté de 7 tonnes de poussée. « Shak » a l’embarras du choix. À lui de cogiter et de trouver le moyen le plus efficace d’entrer dans un appartement ou une maison. « Tu ne sais jamais combien de temps cela va te prendre. C’est très variable. Car tu ne connais vraiment une porte qu’une fois que tu l’as ouverte. » Presque une leçon de philosophie.
Démonstration dans le vaste hangar désaffecté que le RAID a récupéré et aménagé dans les environs de Nancy. Il faut quelques secondes seulement pour venir à bout de l’impressionnante porte d’exercice, à la fois blindée et donc solide, mais aussi défonçable à l’infini. Une porte qui a été construite à la débrouille grâce à des liens d’amitiés noués avec le jeune gérant d’ACRA, une boîte industrielle locale. « Je suis devenu le 23e homme du RAID », rigole le dirigeant. Son enthousiasme est contagieux puisqu’il a convaincu un de ses amis, patron de la société Epact, de suivre son exemple et d’offrir des cloisons modulables. Ce qui a permis au RAID de se construire une « maison d’évolution ». C’est-à-dire un lieu où peut être reconstituée une multitude de configurations de logements. Idéal pour s’entraîner à maîtriser un terroriste ou n’importe quel forcené retranché.
Dans un hangar désaffecté, le RAID peaufine ses techniques d’intervention
D’impressionnants Robocops. Tout en noir. Prêts à passer à l’action
Aujourd’hui, l’objectif de l’exercice est un journaliste au bout du rouleau et armé. Toute ressemblance avec un personnage existant n’est pas totalement fortuite.
Les « opérateurs » du RAID se mettent l’un derrière l’autre. En « colonne ». Ils sont méconnaissables. Ils ont une cinquantaine de kilos sur le dos : bouclier, gilet pare-balles, casque et fusil d’assaut. Ce sont d’impressionnants Robocops. Tout en noir. Prêts à passer à l’action. Mais là encore, il faut se méfier des apparences. Ce n’est pas le muscle qui prime. C’est l’intellect. Et avant de foncer, commence une séance de palabre avec le vrai journaliste et faux forcené. C’est David l’un des trois négociateurs de l’unité qui s’en charge. L’homme a été rugbyman et pourrait plaquer au sol n’importe quel énergumène énervé. Mais c’est une autre de ses qualités qu’il doit mettre en avant : « l’empathie naturelle ». Il a effectué des stages avec des psys et des négociateurs expérimentés. Mais le goût pour le dialogue et l’ouverture vers les autres ne s’apprend pas. On l’a ou on ne l’a pas. David l’a.
« J’ai vraiment envie d’aider la personne qui est retranchée. À chaque fois, je suis persuadé que je peux arriver à la sortir par la parole », confie le négociateur. Le plus compliqué est d’arriver à nouer le contact. À créer un lien. « La plupart reste mutique au départ. Je leur parle à travers la porte mais ils ne répondent pas. Je dois continuer jusqu’à ce qu’ils réagissent, jusqu’à ce que je trouve le fil qui me permettra d’accéder à ce qu’ils ont dans la tête. Après, c’est 70 % d’écoute et seulement 30 % de parole de ma part », développe David. La suite tient de la partie d’échec. Avec quelques règles à respecter. Comme par exemple ne pas mentir. « Lorsqu’on est dans la vérité, c’est plus facile de rebondir et de répliquer. Le mensonge est dur à tenir. Et puis, si je fais preuve d’honnêteté avec la personne en face, il y a plus de chance qu’elle soit, elle aussi, honnête avec moi ».
Connaître l’entourage du forcené est également crucial. Notamment s’il a des enfants. C’est une arme redoutable dans une négociation. C’est en tout cas ce qui me fait sortir de ma tanière et déposer mon arme. Ce qui ne m’empêche pas de finir au sol et menotté. Mais ce n’est pas le souvenir le plus marquant. La scène la plus emblématique et la plus spectaculaire de cette immersion dans le quotidien du RAID ? L’ensemble des hommes autour d’un barbecue, en train de déconner. L’esprit d’équipe. Pour de vrai.
Démonstration de force du RAID 54 pour des policiers et policières slovaques de passage en France
En chiffres
> Le RAID à Nancy, ce sont 16 personnes dont la moyenne d’âge tourne autour de 34 ans. À cela, il faut ajouter une équipe de 6 médecins urgentistes qui se relaient pour monter des astreintes. L’antenne nancéienne a été créée en décembre 2016 et peut intervenir sur toute la région. En l’espace d’un an et demi, l’unité d’élite a effectué une quarantaine d’interpellations de suspects dangereux dans des affaires de terrorisme ou de criminalité organisée. Elle a également dû maîtriser trois forcenés retranchés et dénouer une prise d’otage dans un contexte familial.
> L’unité a également à son actif 6 missions d’escorte et de protection de personnalités en France. À cela s’ajoutent des missions de protection des ambassadeurs de France en Afghanistan et au Liban.
Le RAID 54 a aussi participé à une dizaine d’exercices de grande ampleur. Dont l’un au parlement européen avec les forces spéciales des États membres dans le rôle des assaillants. Les policiers d’élite mènent également des actions de sensibilisation au risque terroriste au profit de l’Éducation nationale. À ce bilan, il faut aussi ajouter deux missions de formation de groupes d’intervention en Afrique. »
Source : L’Estrépublicain.fr – article écrit le 22 juin 2018 par Christophe GOBIN
Photos © Alexandre MARCHI.