Dans le cadre d’une formation interne, une poignée de magistrats, greffiers et assistants de la Cour d’appel de Paris était invitée le 30 janvier dernier à découvrir le fonctionnement de la brigade de recherche et d’intervention. La fameuse BRI. Récit.

Mardi 30 janvier, quelque part sous les toits du palais de justice de la Cité, magistrats, greffiers et assistants se pressent en salle de réunion. Il est 15 heures, la séance commence avec une précision toute militaire. Derrière la table de conférence, le commissaire Simon Riondet, chef de la Brigade de recherche et d’intervention, la fameuse BRI, s’apprête à présenter son unité (Lire l’entretien ci-dessous).

Il est venu à l’invitation de Valérie-Odile Dervieux, présidente de chambre à la Cour d’appel de Paris dans le cadre d’une formation interne destinée à améliorer la connaissance institutionnelle entre professions amenées à se côtoyer. Simon Riondet a accepté d’autant plus volontiers que cette unité d’élite est désireuse de communiquer sur son identité et ses missions. Et puis il est venu en voisin. Toute la police a quitté le légendaire 36 quai des orfèvres pour s’exiler porte de Clichy dans le nouveau tribunal judiciaire, excepté une unité : la BRI. On peut d’ailleurs apercevoir l’un de ses véhicules blindés en jetant un œil depuis le quai : 13 tonnes, 550 000 euros. Un monstre qui était de sortie par exemple au moment des émeutes de l’été dernier.

Véhicule d’intervention (Photo : ©O. Dufour)

Une double mission d’intervention et d’investigation

« La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique » attaque le commissaire, citant Blaise Pascal. La BRI est une unité d’intervention mais aussi de police judiciaire, ce en quoi elle se différencie du GIGN et du RAID. Créée en 1964, son premier métier consiste à intervenir dans Paris lors de crises aiguës nécessitant des moyens particuliers. C’est elle qu’on appelle pour défoncer une porte au petit matin. Elle qui intervient pour déloger un forcené, libérer des otages ou bien répondre à une attaque terroriste. C’est elle que les pouvoirs publics ont envoyée au Bataclan le 13 novembre 2015. Le bouclier qui a protégé les hommes ce jour-là au moment de l’assaut est conservé religieusement derrière une vitrine dans ses locaux.

Le Commissaire Broussard

Moins connu, son deuxième métier consiste à mener des « enquêtes d’initiative » non pas sur des faits mais sur des personnes susceptibles de commettre des délits ou des crimes. On dénombre aujourd’hui 15 BRI sur tout le territoire, mais seule la Parisienne cumule les deux activités. Ses grands faits d’armes ? En 1978, la prise d’otage à l’ambassade d’Irak (sous le commandement de Robert Broussard), l’année suivante, l’arrestation de Mesrine (également sous le commandement de R. Broussard), puis en 2015 l’Hyper cacher au mois de janvier et le Bataclan en novembre.

Le bouclier du 13 novembre trône dans les locaux de la BRI (Photo : ©O. Dufour)

Trente kilos d’équipement

Au centre de la pièce où se déroule la formation, les policiers ont posé sur une table l’ensemble de leur équipement : casque, gilet, armes de poing, fusils d’assaut. La BRI compte une centaine d’hommes. Les membres composants l’équipe d’astreinte rentrent chez eux avec leur matériel le soir, pour pouvoir intervenir rapidement en cas d’alerte. Cela représente trente kilos d’équipement dont cinq pour le casque et plus de vingt pour le gilet.

Le casque de protection pèse 6 kilos (Photo : ©O. Dufour)

Une femme à la tête de la section d’intervention

« Il y a 10 jours, un dossier bouge sur le 93, c’est une affaire de séquestration de prostituées sud-américaines, il est minuit quarante, neuf hommes arrivent dans les 30 minutes pour conduire l’interpellation d’individus dangereux qui vont braquer les policiers lors de leur arrestation » explique l’un des commandants en charge de la formation. Un matériel haut de gamme pour une unité d’élite qui pratique la varappe, le tir de haute précision, l’effraction, la négociation et l’intervention NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique). La section d’intervention, dirigée par une femme, est épaulée par une deuxième section « d’appui opérationnel » : formation, technique, transmission, recherche et documentation, audit et planification, armurerie et logistique.

Les fusils d’assaut de la BRI (Photo : ©O. Dufour)

Les armes de poing de la BRI (Photo : ©O. Dufour)

Un supplément d’âme

À les entendre expliquer leur métier, on mesure la passion qui les anime. D’ailleurs, ils le disent « la BRI c’est une famille dotée d’un supplément d’âme ». Ils ne cachent pas cependant que c’est dur. « On a tous des limites à notre capacité d’encaisser, quand le sac à dos est rempli, il faut partir », confie l’un des commandants. Comprendre qu’on ne vit pas impunément face à la violence et au danger, et que tout ceci n’a qu’un temps. C’est pourquoi intégrer l’unité nécessite des qualités physiques et mentales hors pair. Mais aussi ce je-ne-sais-quoi en plus qui inspire la confiance et permet d’intégrer « la famille ». Il faut « se correspondre » quand on s’apprête à risquer sa peau ensemble.

Le temps est venu de présenter le matériel. La salle s’anime, certains essaient le casque, d’autres s’étonnent d’avoir du mal à soulever le gilet. On touche les armes, d’abord timidement, puis avec plus d’assurance. Les deux commandants (dont on taira le nom pour leur sécurité), expliquent avec un empressement de passionnés le fonctionnement de leur matériel.

Valérie-Odile Dervieux équipée du casque et du gilet tactique (Photo : ©O. Dufour)

Ce qui a changé depuis la création de la BRI ? Pour ces policiers d’élite, Mohamed Merah en 2012 représente l’année zéro de l’intervention au XXIe siècle : « tous les terroristes jusque-là voulaient quelque chose : de l’argent, la libération d’un camarade… Pour la première fois, celui-ci ne veut que mourir. Cela nous a forcés à changer nos process et permis de faire face aux attentats en 2015 » expliquent-ils. Et puis il y a eu le 13 novembre 2015. C’est la plus grande attaque qu’ait connue la France. « Le nombre de morts nous empêche évidemment de parler d’une opération réussie, mais nous avons pu résoudre quelques problèmes » commente l’un des policiers.

Un record mondial de rapidité

Face à une telle tragédie, il n’y a pas d’explication technique audible, ces hommes de l’extrême côtoient la violence et la mort, ils savent que les familles des victimes « ont pris perpétuité ». Alors ils se sont simplement efforcés de recevoir celles qui le souhaitaient et de répondre à leurs questions « le plus franchement possible ». Ce fut une nouveauté pour eux, avant cela, ils ne rencontraient pas les victimes. Ils ont découvert à cette occasion que ce lien avec la population était précieux.

La BRI se targue d’un record du monde, celui de la plus rapide intervention sur un blessé par balle. Lors de la prise d’otage de l’hyper cacher, il ne s’est écoulé que 14 minutes entre le moment où un policier a été blessé à la jambe et celui où il a été opéré. Le défi aujourd’hui, c’est le terrorisme low cost. L’homme qui a fait le plus de morts est l’auteur de l’attentat de Nice, avec un simple camion.

Le camion historique va bientôt rejoindre un musée (Photo : ©O. Dufour)

Il est 17 heures, la formation touche à sa fin. Tout le monde descend dans la cour du palais voir les véhicules d’intervention. Le plus imposant est un blindé de treize tonnes qui a servi notamment lors des émeutes. Son petit frère est rangé dans la cour, c’est le véhicule léger. Et puis il y a la star, qui ne va pas tarder à rejoindre un musée. Il est bâti comme un fourgon de transport de fonds et a laissé sa trace dans l’histoire au cinéma comme dans la plus tragique réalité, c’est lui qui est intervenu lors des attentats du 13 novembre.

Quelques photos, deux ou trois questions, et l’on se quitte avec des sourires radieux et de solides poignées de main. Magistrats et policiers ont échangé à cœur ouvert et ça leur a fait du bien.

Stand de tir (Photo : ©O. Dufour)

Une demi-douzaine de participants a un dernier rendez-vous, dans un stand de tir à quelques centaines de mètres. Exactement comme dans les films : une pièce tout en longueur, des cibles en papier au fond, un équipement composé d’un casque antibruit et d’une paire de lunettes. L’instructeur explique le fonctionnement des armes, on se place à cinq mètres, il y a des mains débutantes qui naviguent dans l’air sous l’effet du recul, quelques postures maladroites, pour la plupart c’est un baptême. Les fusils d’assaut sont les plus difficiles à manier, il faut épauler, poser la joue contre l’arme, viser. Au sortir de l’expérience, les magistrats qui ont découvert l’exercice confient qu’ils se sentiront plus à même de comprendre leurs dossiers.

Valérie-Odile Dervieux n’avait pas pu accepter tout le monde à la première session. On lui réclame déjà une deuxième formation. « Ce sont des héros, ils sont sur le terrain, ils risquent leur vie, ça nous change de la procédure. J’ai lu l’admiration dans les yeux de mes collègues » confie-t-elle. Mieux se connaître pour mieux travailler ensemble…

« À la fin nous gagnons, très peu de criminels nous échappent »

Le commissaire divisionnaire Simon Riondet, chef de la BRI (Photo : ©Nora Hegedus)

Tout le monde connait le sigle de la BRI, mais on sait moins quelles sont exactement ses missions. C’est pourquoi elle a décidé de communiquer. Son chef, le commissaire divisionnaire Simon Riondet, a accepté de répondre à nos questions sur le fonctionnement de cette unité d’élite.

Actu-Juridique : Pour quelles raisons la BRI souhaite-t-elle communiquer sur ses missions ?

Simon Riondet : Pour nous faire connaître, y compris en interne. Depuis le Bataclan, notre mission d’intervention est identifiée, en revanche, notre deuxième activité, l’enquête d’initiative ne l’est pas encore assez. Or, nous avons besoin de recruter, si possible les meilleurs. L’objectif consiste à susciter des vocations. Plus largement, nous souhaitons être mieux connus de nos partenaires et des autorités. C’est aussi de ma part une forme de reconnaissance envers des gens que j’admire autant que je les dirige.

Actu-Juridique : Quels sont les profils que vous recrutez ?

SR. : Avoir une expérience de policier de terrain est essentiel. Il faut aussi une certaine maturité professionnelle et personnelle, nos recrues ont en moyenne entre 30 et 35 ans et viennent essentiellement de la BAC (Brigade anti-criminalité), mais aussi de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et de la PJ (Police judiciaire). On reçoit pour chaque session de recrutement (1 ou 2 chaque année) entre 40 et 50 candidatures par an, nous en sélectionnons 25 Afin de participer à la semaine de sélection qui comprend 35 épreuves qui nécessitent un gros engagement physique. Cinq à six candidats sont retenus et entrent dans la deuxième phase, d’immersion. Durant deux semaines, on les teste sur nos deux métiers, jour et nuit, sur toutes les opérations pour observer leur comportement et évaluer leur capacité à s’intégrer. Le tout s’achève par un grand oral. On garde en moyenne quatre personnes. J’ai une certaine liberté sur le sujet, si j’ai dix bons candidats je les prends, si j’en ai moins de quatre tant pis on ne retiendra que les meilleurs. Il y a ensuite une période probatoire de six mois où on leur enseigne la filature, le tir, la varappe, les explosifs etc. On estime qu’un agent est parfaitement opérationnel au bout de deux à trois ans d’expérience dans la brigade. Au bout de deux ans, on est breveté BRI.

Actu-Juridique : Combien de temps reste-t-on à la BRI ?

SR. : Les contrats sont de cinq ans renouvelables dans la limite de trois contrats, avec quelques exceptions. Après la BRI, soit on est atteint par l’héliotropisme et on va dans le Sud, Marseille, Montpellier ou Bordeaux en BRI ou antenne du RAID (Recherche, assistance, intervention dissuasion) ou bien on retourne dans sa région d’origine, ou alors on change totalement de métier, j’ai un ancien qui exerce à New York. Nous allons prévoir la possibilité d’un 4e contrat. En prenant de l’âge, on perd des capacités physiques, en revanche on gagne en expérience et donc on peut passer de la section d’intervention à la section d’appui.

Actu-Juridique : Les exigences physiques sont très grandes, y a-t-il une possibilité pour les femmes d’intégrer la BRI ?

SR. : Le numéro 3 de la BRI, qui dirige la section intervention, est une femme. Jusqu’ici nous n’avons eu que deux candidates, nous souhaitons qu’il y en ait davantage. Une des candidates a échoué, elle avait pourtant des capacités physiques de haut niveau et un excellent mental, mais trop de stress en opération. Elle va travailler sur cette difficulté pour repasser les tests. Les machos sont souvent des gens qui ont quelque chose à prouver, ici nous n’avons rien à prouver et donc aucun problème avec les femmes.

Actu-Juridique : Qu’est-ce qui fait une unité d’élite ?

SR. : C’est la possibilité de disposer d’un matériel de très haut niveau distinct de celui de la police classique (pistolets, fusils d’assaut, véhicules blindés) et de recevoir une formation exceptionnelle, par exemple descendre en varappe de la tour Montparnasse ou de la Tour Eiffel, intervenir sur la Seine, suivre des stages de conduite, bénéficier de primes. Et puis ce sont des contraintes très exigeantes. Nous devons être disponibles nuit et jour. Lorsqu’on est d’astreinte, on emporte chez soi 25 kg de matériel, des armes très dangereuses qu’il faut savoir stocker, pour intervenir plus vite en cas de nécessité. Une fois j’ai voulu aller au cinéma à 700 mètres de chez moi, le téléphone ne passait pas dans la salle, je suis reparti. L’élite cela ne signifie pas qu’on est meilleur mais qu’on donne plus, c’est un rapport au travail particulier, une passion.

Actu-Juridique : Vous avez une activité importante d’investigation, pour autant vous travaillez très peu avec la justice, comment est-ce possible ?

SR : L’idée du créateur de la BRI, François Le Mouël, consistait justement à s’extirper de la complexité de la procédure, pour se positionner en amont de celle-ci. Nous agissons dans le cadre administratif des techniques de renseignement qui relève du Premier ministre et lorsqu’on a une accroche judiciaire suffisante, on s’appuie sur un autre service qui va gérer les relations avec les magistrats par exemple les services territoriaux ou les brigades centrales de la DPJ, les sûretés territoriales de la DSPAP.

Actu-Juridique : Votre spécificité en effet c’est que vous n’enquêtez pas sur les faits, mais sur les personnes…

SR : Les gens que l’on rencontre dans la grande criminalité ne sont pas des débutants, mais des individus qui font littéralement carrière dans le crime organisé. Cette approche est à mes yeux la troisième grande révolution de la police. Il y a eu les brigades du tigre de Clémenceau qui a décloisonné la police, puis la naissance de la police scientifique et enfin l’idée du créateur de la BRI en 1964, ne pas attendre que les crimes aient lieu. À la fin, nous gagnons, très peu d’entre eux nous échappent.

Actu-Juridique : La BRI a été créée pour traiter les braquages, quelles sont vos cibles aujourd’hui ?

SR : Il y a moins de braquages car il y a moins d’argent liquide en circulation, mais beaucoup de trafics de stupéfiants, des séquestrations à domicile, des vols de fret, des vols par usage de fausse qualité. À l’origine, la BRI luttait aussi contre les enlèvements avec demande de rançon, on en a encore, sur fond de délinquance organisée. Et puis il y a le terrorisme qui est monté en puissance. C’est une criminalité très variée mais qui a toujours pour but l’argent et le pouvoir.

Actu-Juridique : Avez-vous un chiffre phare qui illustre votre activité ?

SR : L’an dernier nous avons interpellé 235 personnes, soit environ une par jour ouvré. Il y en a qu’on va chercher à 6 heures du matin chez elles, d’autres qu’on arrête sur la voie publique. On s’adapte, on vit au rythme des voyous. On travaille de nuit, le week-end, il faut être prêt à tout lâcher tout le temps.

Actu-Juridique : On imagine que vous allez être fortement sollicité pour les Jeux olympiques…

SR : Nous serons opérationnels à 100 % jour et nuit. Nous allons travailler avec le RAID et le GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) dans un mouvement unique. On s’est réparti les blocs missionnels pour la cérémonie d’ouverture en maximisant les ressources disponibles en cas d’attaque terroristes, prise d’otage, tuerie de masse. Cela a nécessité un énorme travail de préparation depuis deux ans. Nous serons prépositionnés dans Paris pour réduire au maximum les délais d’intervention. Le GIGN se chargera des airs et de la dépose des chefs de gouvernement entre étoile et Chaillot, le RAID s’occupera de la sécurité des athlètes et du fleuve, quant à la BRI elle aura pour mission de sécuriser quais hauts et bas et le lieu de la cérémonie. C’est une belle collaboration pour un beau projet.”

Source : actu-juridique.fr – article écrit le 08 février 2024 par Olivia Dufour

Photos © Olivia Dufour

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