Robert Broussard crée, avec Ange Mancini, le Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) le 23 octobre 1985. Le ministre de l’intérieur de l’époque, le socialiste Pierre Joxe, confie au célèbre commissaire, « tombeur » de l’ennemi public n° 1 Jacques Mesrine, la mission de réunir les meilleurs policiers dans une unité d’élite pour faire face à la montée du terrorisme et du grand banditisme.

Vous avez fondé le Raid en 1985. Racontez-nous les débuts de cette unité.

J’étais préfet en Corse et à mon retour j’ai été nommé adjoint opérationnel du Directeur général de la police nationale pour la lutte antiterroriste. Début 1985, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Pierre Joxe, me demande de lui présenter des propositions pour améliorer l’efficacité des services dans la lutte antiterroriste. Je lui propose de mettre en place une unité d’élite polyvalente, ayant une compétence nationale, capable de faire des surveillances, des filatures et des interventions à haut risque. Je voulais absolument que l’unité, qui allait devenir le Raid, soit constituée de policiers venant de tous horizons, de toutes les directions et de tous les grades. Il me fallait à la fois des maîtres-chiens, des artificiers, des spécialistes en filature, des descendeurs varappe, des parachutistes…

 

En 1985, le contexte était difficile ?

On était en pleine lutte contre le terrorisme et le grand banditisme avec des prises d’otages, des détournements d’avions. Lorsqu’on était en Corse avec Mancini [Ange Mancini, directeur du SRPJ d’Ajaccio en 1983, NDLR], on déplorait l’absence d’une telle unité. En Corse, on avait été confrontés à des événements extrêmement graves. Des attentats, des assassinats et tentatives d’assassinats… Et on n’avait pas à notre disposition une unité polyvalente à haut risque. Les gens du FLNC [Front de libération nationale corse] étaient très virulents à l’époque : des plasticages, des nuits bleues… On tournait à une moyenne de 100 attentats par mois. Enfin bref, c’était un festival ! II y avait des attentats d’Action directe à Paris, de la Bande à Baader en Allemagne et des Brigades rouges en Italie.


En 1975, à Paris, le ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski félicite le jeune commissaire Robert Broussard (à gauche), chef de la brigade anti-gang, après l’arrestation du braqueur Jean-Charles Willoque. (Photo : AFP)
 
Comment votre proposition a-t-elle été accueillie ?
Pierre Joxe a aussitôt accepté. Mais pour le reste, ça n’a pas été facile. La DST, la Direction de la surveillance du territoire, et la police judiciaire revendiquaient les compétences de cette nouvelle unité. Et les directeurs en place avaient un peu la trouille que le Raid empiète sur les compétences des uns et des autres. Pour le recrutement, même problème, il y avait des réticences pour prendre les bons éléments aux Renseignements généraux, à la Police judiciaire par exemple. Finalement, il y avait une grande détermination du ministre et de moi-même. On a réussi à mettre en place cette unité de 80 membres. Je voulais une osmose dans le service donc il ne fallait pas voir trop grand.
 
 
Comment s’est déroulé le recrutement des premiers agents du Raid?
La phase de recrutement a duré 4-5 mois. Pour la première fois dans la police, des psychologues ont participé de A à Z au recrutement des gens.
Lorsqu’on a lancé le premier télégramme de recrutement, on a reçu plus de 1 200 candidatures. On a éliminé les trop vieux et les trop jeunes sur dossier. Ensuite, on en a sélectionné 200, à qui on a fait passer des tests médicaux, techniques et psychologiques.
Ces tests psychologiques de 400 questions étaient nouveaux à l’époque. On a eu de sacrées surprises. Des gens qui paraissaient parfaitement solides et stables ne l’étaient pas tant que ça. Au début j’étais un peu sceptique car demander à un type s’il préfère danser avec sa grand-mère plutôt que sa cousine, c’était assez bizarre. Mais les tests étaient vraiment fiables.

En 1983, à Bastia, le capitaine du GIGN Paul Barril discute avec le commissaire Broussard, alors préfet de Corse. (Photo : AFP)
 
Quel genre d’exercices physiques ?

Le dernier stage physique a eu lieu dans une école de police. Je me rappelle d’un exercice qui se déroulait dans la forêt de Fontainebleau : on a amené nos candidats au bord d’un trou d’un mètre de diamètre et de dix mètres de profondeur dans la roche. Une psychologue scrutait la réaction des candidats. On leur disait de descendre sans aucun équipement, à mains nues, au fond du trou. On ne leur donnait ni la profondeur, ni la porte de sortie. D’entrée, quelques candidats avaient la trouille. Voilà le genre d’exercices, inspirés de méthodes venues des États-Unis, que l’on faisait faire.

 
Le Raid n’est donc pas composé que de gros bras ?

Non, absolument pas ! Parmi les candidats, il y avait des sportifs de haut niveau qui n’étaient pas fiables psychologiquement. C’était un tout. Avec Mancini, que j’avais proposé à Joxe comme patron du Raid, on a auditionné les 80 sélectionnés. On posait des questions plus personnelles. Comme par exemple : « Est-ce que votre femme est au courant des risques physiques que vous encourez ? » Le gars devait me donner une réponse catégorique. Je ne voulais pas qu’il soit préoccupé par des problèmes de couple. L’un d’entre eux a renoncé parce que sa femme ne voulait vraiment pas.


L’emblème du Raid : une panthère noire au repos. (Photo : Reuters)
 
Quelle a été la première sortie du Raid ?
On a accompagné le président de la République, Mitterrand à l’époque, qui faisait un déplacement dans un climat assez hostile en Guadeloupe et en Martinique. Il y avait eu des attentats juste avant. On a été sollicité pour assurer la protection du président et de sept ministres.
La première grande sortie, c’était la prise d’otage de la cour d’assises de Nantes par Georges Courtois et ses complices [le 19 décembre 1985, NDLR]. Pierre Joxe a demandé que j’aille avec eux car j’avais déjà connu une soixantaine d’affaires de prises d’otages. J’avais une certaine habitude… La présence des anciens de l’antigang intégrés au Raid était réconfortante pour cette première intervention.


Le 20 décembre 1985 vers 20 h 30 : le commissaire Robert Broussard et ses adjoints discutent avec Georges Courtois qui se trouve avec ses deux
complices et deux otages à l’intérieur du véhicule sur l’aéroport de Château Bougon. (Archives : Ouest-France)

 
C’est vous qui avez négocié avec Georges Courtois ?

Oui. Courtois me connaissait de nom. Avec l’affaire Mesrine, mon nom était connu de tous les truands. J’ai rencontré Mesrine à trois reprises. Courtois, lui, m’a demandé de discuter d’homme à homme. Et je suis certain qu’il connaissait déjà mon aspect physique pour pouvoir me reconnaître. La façon de discuter et de se comporter avec les truands est importante. Courtois s’est finalement rendu mais il faut voir par où on est passé pendant 34 heures !

Je vais vous faire une confidence. Un jour, je reçois un coup de fil : « Allô Bob, c’est Jojo. Tu ne te rappelles pas de moi à Nantes ? »
C’était Georges Courtois. « Depuis que je suis sorti de prison, je suis journaliste, chroniqueur judiciaire pour La Lettre à Lulu ! » [un journal satirique nantais, NDLR]. Alors je lui réponds : « Toi ? Chroniqueur judiciaire avec le palmarès que tu as ? ». Il m’explique : « Oui, je me suis reconverti et j’assiste aux procès à la cour d’assises de Nantes. » C’est quand même assez extraordinaire, ce type-là avait l’autorisation de suivre des procès à la cour d’assises de Nantes, alors que quelques années auparavant, il avait pris toute la cour d’assises en otage ! Et il me demandait de lui écrire un éditorial pour « La Lettre à Lulu » ! J’ai cru qu’il se foutait de moi. Quelque temps après, il est retombé pour des histoires de braquages.


Les commissaires Robert Broussard et Mancini, du Raid, et Delafosse (du SRPJ de Rennes) à l’issue de la prise d’otages de Nantes, le 20 décembre 1985. (Archives : Ouest-France)
 
La négociation est dans l’ADN du Raid ?
De tout temps, en France, la priorité a été de négocier, de marchander. Du donnant donnant. Vous voulez une cigarette ? D’accord. Mais vous laissez sortir un otage. À Nantes, par exemple, on m’a reproché de ne pas être intervenu en force. Mais il n’en était pas question ! La négociation, c’est la première arme qui est à notre disposition.
Je me souviens d’un préfet, dans une affaire de prise d’otages dans une ferme, qui s’est adressé aux truands avec un langage de préfet. Au bout d’une heure, les truands l’ont envoyé balader. Ça ne s’improvise pas, la négociation. C’est très dur de parlementer pendant des heures. On est en permanence sur le fil du rasoir. On passe notre temps à remonter des pentes. J’appelle ça un corps à corps psychologique. Il faut peser tous ses mots et ne commettre aucune erreur.
 
Qu’est-ce qui a changé au Raid en 30 ans ?

Il faut s’adapter à la réalité du moment. Au Raid, en 30 ans, les techniques d’intervention, le matériel, les équipements, les moyens d’écoute, tout a considérablement évolué. Pour les terroristes aussi. Il y a tout de même des constances dans l’approche. Le Raid fait partie de ces unités qui ont fait école. Quand je vois les équipements du Raid à l’heure actuelle, ça n’a rien à voir avec ce que l’on avait il y a 30 ans. Aujourd’hui, ils sont environ 150-160 avec des gens détachés un peu partout. Les missions se sont diversifiées. Il y a davantage de protection de hautes personnalités. Par exemple, quand Sarkozy est allé en Libye, il y avait des gens du Raid avec lui. Si Hollande se rendait en Syrie, une équipe du Raid ne serait pas très loin.

 
30 ans après, qu’est-ce que cet anniversaire vous procure ?

Je suis à la fois fier, et aussi peiné parce qu’il y a eu trois morts au cours des interventions du Raid. Dont Christian Caron, qui était avec moi quand j’étais à la brigade antigang de Paris. Il m’a suivi au Raid et il a été tué lors d’une intervention pour déloger un forcené [le 31 août 1989, à Ris-Orangis, NDLR]. Ça a été un drame personnel parce que c’était un collègue et un ami. La création du Raid, c’est une grande satisfaction parce que les événements ont prouvé que je ne m’étais pas trompé de faire travailler, ensemble, des gens de tous les horizons.”

Source : Ouest France – article écrit le 05 octobre 2015 par Klervi Drouglazet

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